Gérard Bapt, député socialiste et président de la mission d’information sur le Mediator, revient sur les conflits d’intérêt, palpables dans ce scandale sanitaire. Au sein des agences sanitaires, des sociétés savantes de médecins mais aussi dans le domaine de la recherche.
Le parlementaire a justement adressé un courrier à la ministre de la Recherche, Valérie Pécresse, et au directeur général de l’Inserm, André Syrota, pour leur faire part de ses interrogations.
Question : Aurait-on pu éviter le drame du Mediator s’il n’y avait pas eu tous les conflits d’intérêt révélés depuis l’explosion du scandale ?
Gérard Bapt : Je suis persuadé que les conflits d’intérêt ont joué un vrai rôle dans l’affaire du Mediator. Il est difficile de croire qu’il n’y a pas eu complaisance quand on sait qu’un membre de la commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’Afssaps est l’époux d’une salariée de Servier. Depuis 1999, l’Afssaps demandait à Servier une étude dans la durée pour mesurer les effets indésirables du Mediator. En 2001, elle lui redemande. Elle n’obtiendra l’étude qu’en 2007 ! Entre temps, le laboratoire fait faire une étude pour démontrer l’efficacité du benfluorex, la substance active du Mediator. Alors qu’en Espagne, quand les autorités ont demandé une explication sur les effets secondaires de son médicament, il n’a pas fallu trois semaines à Servier pour retirer son produit. De même en Suisse en 1997. Partout où le laboratoire a senti qu’il y avait une volonté d’aller jusqu’au bout des choses, il a retiré du marché le Mediator. Alors qu’en France, le laboratoire ne prend pas la peine de répondre à l’Afssaps, qui elle même ne le met pas en demeure. Servier n’avait sans doute pas le même entregent à l’étranger…
Question : Les conflits d’intérêt sont-ils une spécificité française ?
G.B. : Le problème est aussi européen. Il est particulièrement scandaleux que le directeur exécutif de l’Agence européenne du médicament (EMEA) soit désormais consultant pour l’industrie pharmaceutique. Le 31 décembre, il était encore à l’Agence et le lendemain, il prenait son poste de consultant ! Cela montre bien qu’il avait déjà un pied dans l’industrie alors même qu’il présidait l’Agence.
Question : Comment remédier à ce problème ?
G.B. : La Commission de déontologie doit être saisie pour chaque passage d’un poste public à un poste privé. Cela se fait déjà pour le secteur de la banque, il faut aussi le faire pour les professeurs d’université – praticiens hospitaliers (PUPH) et les membres de cabinet. Il faut instaurer un délai suffisamment long : au moins 5 ans pour qu’il y ait une vraie césure entre responsabilité publique et responsabilité privée. Autre exemple : les sociétés savantes de médecins devraient plus particulièrement avoir une dimension déontologique. Or on constate que beaucoup ne respectent pas la loi de 2002 sur les conflits d’intérêts, qui oblige à mentionner les collaborations avec l’industrie lors de déclarations publiques.
Question : Agences sanitaires, sociétés savantes… Les labos sont partout !
G.B. : Je découvre qu’il y a un autre champ où l’industrie pharmaceutique, et plus particulièrement Servier, est présent : c’est la recherche. On est passé à côté de l’infiltration de Servier dans ce domaine. J’ai été frappé par le sort réservé au dossier des 20 centres français travaillant sur la maladie thromboembolique porté par le professeur Le Gal. Ce médecin brestois a travaillé avec Irène Frachon sur le Mediator. Son projet sur la thrombose n’a pas été retenu par le jury chargé d’attribuer des bourses « Cohortes » dans le cadre du Grand Emprunt. Dans ce jury majoritairement étranger siègent deux Français, deux représentants de labo, dont Servier. Sans juger la décision prise par le jury, cette situation introduit un doute. Autre exemple : le pôle de compétitivité Medicen compte toujours au sein de son conseil d’administration des représentants de Servier, au moment même où la CNAM porte plainte contre Servier pour escroquerie et où le Leem, le syndicat de l’industrie pharmaceutique, fait le ménage dans ses propres instances. Les leçons du Mediator n’ont pas fini d’être toutes tirées. Des représentants de Servier siègent toujours dans des organisations où sont intimement mêlés public et privé, et qui attribuent des fonds publics.
A lire dans son intégralité et son contexte (marianne2.fr/clotilde cadu)
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