Nicolas Sarkozy et ses ministres multiplient depuis deux ans les déclarations favorables à la mise en place d'une taxe sur les transactions financières, ou taxe Tobin, pour financer la lutte contre la pauvreté et le changement climatique. C'est bien sûr une excellente idée, qu'on ne peut qu'applaudir.
Mais au lieu de la porter dans une enceinte où elle pourrait rapidement être adoptée – la zone euro –, le gouvernement français a choisi de la défendre dans le cadre du G20, où l'échec est d'ores et déjà assuré. S'agit-il d'une simple erreur tactique, qui sera vite corrigée ? Ou bien d'une manœuvre pour pouvoir accuser les autres de bloquer des décisions que la France ne souhaite en réalité pas prendre, ou pour mettre en difficulté un Dominique Strauss-Kahn adversaire déclaré de la taxe ?
On le sait, dans l'esprit de son inventeur James Tobin, la taxe visait à dégonfler la spéculation financière sur les devises en décourageant les transactions les plus spéculatives. Celles-ci consistent majoritairement en des paris répétés très souvent portant sur de très petites variations des taux de change (ou des valeurs des actifs financiers), engageant des montants gigantesques. On estime couramment qu'une taxe de 0,1 % sur l'ensemble des transactions financières réduirait très fortement – de 50 à 80% – le volume de ces transactions, contribuant à stabiliser les marchés financiers. Malgré cette forte réduction des transactions, celles-ci resteraient suffisamment nombreuses pour que la taxe rapporte plusieurs centaines de milliards de dollars à l'échelle mondiale – dont une bonne partie dans l'Union européenne.
De nombreux dirigeants de pays de la zone euro – France, Allemagne, Luxembourg, Espagne, Autriche, Belgique, Portugal – se sont positionnés en faveur de la taxe. Seuls les Pays-Bas ont manifesté leur hostilité. Mais dans un contexte marqué par l'exaspération des opinions publiques contre les spéculateurs et par les attaques récurrentes des marchés financiers contre l'euro, comment croire que ce pays pourrait seul s'opposer à une forte volonté politique de ses partenaires ? La décision est mûre politiquement, elle l'est également au plan technique, comme l'ont montré de récents rapports d'experts.
Au G20 en revanche les opposants sont nombreux et puissants. Les Etats-Unis, l'Australie et le Canada ont répété maintes fois qu'ils n'en voulaient pas. Le Japon était favorable mais son premier ministre vient de se déclarer hostile à la taxation des transactions financières. Les grands pays émergents membres du G20 demeurent indifférents : leur système financier n'a pas encore été vraiment ébranlé par la crise ; s'ils souhaitent que les pays du Nord tiennent leurs engagements financiers concernant la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique, ils ne semblent guère s'intéresser à la provenance des fonds.
PRÉPARER UNE DIRECTIVE EUROPÉENNE
Autrement dit, les chances d'une décision positive du G20 en 2011 sont égales à zéro. La seule manière pour Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et leurs collègues européens de changer la donne est de montrer eux- mêmes l'exemple. La mise en place d'une taxe sur les transactions financières dans la zone euro matérialiserait une réelle volonté de créer des solidarités positives face à la pression des marchés financiers, au lieu de durcir indéfiniment les politiques d'austérité dans l'espoir de "rassurer" ces marchés. Elle permettrait aussi de dégager des ressources très substantielles, ô combien nécessaires dans une période où les déficits budgétaires sont chroniques et les besoins de financement urgents, en particulier pour la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique global.
A rester dans une posture proclamatoire, Nicolas Sarkozy s'expose à voir ses partenaires du G20 enterrer sans difficultés une demande si peu consistante. Il doit immédiatement demander à la Commission et à son président José Manuel Barroso de préparer un projet de directive dans les six mois. Faute de quoi la crédibilité des dirigeants européens continuera à se désagréger aux yeux des marchés financiers – et, plus important, des citoyens.
Source Le Monde
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