Le chef du gouvernement a officiellement enterré la révision générale des politiques publiques, en clôture de la conférence sociale. Mais il a aussitôt annoncé la nécessité de moderniser l’administration et d'engager dès l'automne des travaux "sur les missions des services publics et leur organisation territoriale". L'enjeu : trouver de quoi compenser les embauches promises dans les trois ministères clés que sont l'Education, l'Intérieur et la Justice. D'ores et déjà, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls n'a pas exclu la fermeture de certaines sous-préfectures...
Deux rapports sénatoriaux, l'un sur la réforme des bases de défense, l'autre sur la carte judiciaire, mettent en lumière "l'effet domino" que peut avoir la fermeture de certains services publics sur d'autres. Ils constatent l'apparition de "déserts" judiciaires ou militaires. Toute réforme à venir devra passer par une réflexion sur l'organisation et ne pas se contenter de choix comptables, concluent-ils.
Le point commun de ces deux rapports présentés à un jour d'intervalle est de mettre en exergue des parties du territoire durement touchées par l'effet domino des fermetures de services publics les uns sur les autres.
"Les élus nous ont fait observer que les regroupements de tribunaux allaient de pair avec la suppression de plusieurs services publics, de certaines administrations, d'hôpitaux dans les mêmes endroits, contribuant ainsi au désert tout court, et au désert judiciaire de la proximité", déplore la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Séat (groupe communiste - Paris), co-auteur avec Yves Détraigne (Union centriste - Marne) d'un rapport sur la réforme de la carte judiciaire, présenté à la presse, jeudi 12 juillet.
Pour les deux sénateurs, la réforme de cette carte inchangée depuis 1958 se justifiait, mais elle a tout d'abord posé un problème de "méthode", la concertation annoncée s'étant limitée à une réunion de l'instance de suivie et de concertation. La refonte a manqué son objectif. Prévue pour mieux répartir le travail dans les tribunaux et rationaliser leurs moyens, elle s'est traduite par une baisse du nombre de magistrats et de fonctionnaires au moment où les besoins en personnels augmentaient sous l'effet de réformes pénales et civiles. Les rapporteurs dénoncent ainsi une "réforme quantitative des implantations sans réflexion sur l'organisation de la justice et la répartition des contentieux".
L’efficacité a souffert de cette réforme. L'instruction d'un dossier par les tribunaux d'instance est ainsi passée de 5,7 mois à 6,3 mois. Mais surtout, la mission estime que la justice s'est éloignée du citoyen. "Le nombre d'affaires a diminué dans les tribunaux d'instance de certains endroits, les gens ont renoncé à saisir la justice", explique Nicole Borvo Cohen-Séat. En cause : les distances trop longues ou l'absence de transport. Exemple en Haute-Loire avec la suppression des tribunaux d'instance de Brioude et d'Yssingeaux et de leur rattachement à celui du Puy-en-Velay : depuis 2008, le nombre d'affaires a chuté de 21,6% ! Selon lui, les distances ne sont pas tout, il aurait fallu examiner la densité de population et le maillage des réseaux de transport…
La mission s'interroge aussi sur les surcoûts de la réforme : les palais de justice, propriétés des collectivités territoriales, étaient généralement mis à disposition. Or, les regroupements ont obligé le ministère à prendre de nouveaux bâtiments en location. Ce n'est pas tout : des alternatives ont été pensées, comme les maisons de la justice et du droit, mais celles-ci sont à la charge des collectivités. "La question est de savoir si c'est aux collectivités de mettre les moyens", s'interroge Yves Détraigne. Quant aux "audiences foraines", elles n'ont pas pu être mises en œuvre.
Dans un autre rapport présenté le 11 juillet, Gilbert Roger (socialiste, Seine-Saint-Denis) et André Dulait (UMP, Deux-Sèvres) évaluent à 6,6 milliards les économies générées par la réforme militaire sur la période 2008-2014 et semble moins alarmiste. Cependant, la situation financière de l'armée est telle qu'il va manquer 130 millions d'euros pour boucler l'année. Mais Tout comme les tribunaux, les deux élus reviennent aussi sur le coût territorial de la réforme. "En zones de fragilité économique ou dans les petites villes, le choc est rude. Sur les 320 millions d'euros d'aides à la revitalisation économique prévus, peu ont été dépensés à ce jour. "Les collectivités territoriales, on l'oublie trop souvent, auront versé trois fois plus d'argent que l'Etat pour la reconversion des sites fermés", souligne le sénateur des Deux-Sèvres. Les rapporteurs s'interrogent aussi sur la viabilité des 200 entreprises aidées dans ces zones et qui ont pu créer 2.000 emplois…
"De véritables déserts militaires apparaissent, dans le Nord, le Centre et l'Ouest, et on peut s'interroger sur le maintien du lien armée-Nation", observe André Dulait. Les sénateurs demandent de ne pas réduire davantage le nombre de bases de défense comme le recommande la Cour des comptes. Cela créerait un "nouveau traumatisme territorial".
Auditionnée par la commission des affaires économiques et de l'aménagement du territoire de la Haute Assemblée, la ministre de l'Egalité des territoires et du Logement Cécile Duflot semble en phase avec le constat des sénateurs. Elle a promis de veiller à ce que les futures réformes conjuguent "vision spatiale et vision d'organisation".
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