"Madame la présidente,
Mesdames et Messieurs mes chers collègues,
Je suis chargé de vous présenter l’accord de coopération en matière de défense conclu entre notre pays et la République de Guinée, que l’on appelle couramment la « Guinée Conakry ». Notre commission s’est saisie pour avis du projet de loi tendant à autoriser sa ratification, que nos collègues de la commission des affaires étrangères examineront au fond dans une semaine.
Cet accord de coopération est d’une facture très classique. Sa structure comme son contenu sont en tous points conformes aux canons de la « nouvelle génération » d’accords de défense entre la France et ses partenaires africains, conclus depuis 2008, qui remplacent les accords conclus au lendemain des indépendances.
Ces accords de « nouvelle génération », si je puis dire, présentent des traits communs :
‒ d’une part, une logique plus partenariale qu’avant. Ainsi, formellement, ces accords sont rédigés de façon réciproque, et non « à sens unique » ; matériellement, il ne s’agit plus de garantir seulement la sécurité d’un État (ou d’un régime). C’en est fini des clauses de défense, publiques ou non. Le champ de la coopération s’élargit : si ce que l’on appelle la coopération « structurelle » (c’est-à-dire l’envoi de coopérants) conserve toute sa place, les accords traitent aussi de la coopération opérationnelle, qui est d’ailleurs le « cœur de métier » de plusieurs de nos bases militaires en Afrique ;
‒ deuxième trait marquant : une dimension plus collective. En effet, la France soutient la volonté des Africains de s’approprier la défense de leur continent, et de le faire dans un cadre collectif. Ce cadre, c’est celui de l’Architecture africaine de paix et de sécurité. Il progresse, certes lentement, mais il a déjà trouvé des traductions très concrètes à l’échelle des sous-régions qui constituent l’Union africaine. On pourra citer par exemple la force africaine appelée MISMA, que la CEDEAO a réussi à envoyer au Mali en 2013, dans de meilleurs délais que l’ONU. On pourrait aussi citer la force appelée MISCA, envoyée quelques mois plus tard par la CEEAC en Centrafrique. C’est d’ailleurs dans un cadre multilatéral que la Guinée commence ‒ et c’est nouveau ‒ à projeter ses forces en opérations extérieures. Les Guinéens sont présents au Mali depuis 2013, et tiennent aujourd’hui sous la bannière de l’ONU un secteur des plus exigeants : celui de Kidal, fief de la rébellion.
Cette dimension collective de la sécurité de l’Afrique, la France ne la soutient pas seulement par sa coopération opérationnelle, mais aussi par sa coopération structurelle, qui s’appuie sur un réseau toujours plus dense d’« écoles nationales à vocation régionale », les ENVR. Pour faire simple : plutôt que d’accueillir des militaires africains dans nos écoles militaires, la France envoie des coopérants dans des écoles africaines, créées par un pays mais ouvertes aux autres pays de la région.
Voilà pour le contenu de l’accord, qui offre un cadre souple et large aux actions de coopérations pour lesquelles notre partenaire guinéen exprimer un besoin.
Et des besoins, il en a. En effet, ce traité intervient dans un contexte très particulier pour la Guinée. Comme vous le savez, mes chers collègues, la Guinée sort tout juste d’une période de profonds troubles, entamée en 2009, lorsqu’une junte militaire a pris le pouvoir après la mort du président Lansana Conté, et dont le point culminant a été le massacre du stade de Conakry, le 28 septembre 2009, avec 150 morts.
Après de tels troubles politiques, s’ensuit inévitablement une phase de stabilisation politique, phase qui est d’autant plus longue que la Guinée sort de plusieurs décennies de dictature militaire. Les élections du président Alpha Condé en 2010 et en 2015 marquent des progrès en ce sens. La stabilisation politique ne peut toutefois être vue comme consolidée tant que n’est pas accompli un processus de modernisation des structures de l’État, préalable lui-même au développement économique. Or en la matière, il y avait fort à faire.
Mais par une sorte de malchance, ce processus de stabilisation et de modernisation, bien engagé, a été compliqué par la crise Ebola. Par nature, un risque de pandémie peut toujours avoir des conséquences incontrôlables dans un pays où les structures de santé restent faibles, et où l’administration est encore en cours de modernisation. De surcroît, l’épidémie a conduit nombre de pays à suspendre leurs programmes de coopération, non en signe de protestation, comme ils l’avaient fait en 2009, mais simplement par précaution pour leurs ressortissants.
D’ailleurs, lors de cette crise, la France a fait la preuve de sa solidarité, et son action lui vaut la gratitude de nos partenaires guinéens. C’est en effet notre service de santé des armées qui a largement soutenu les services guinéens dans la gestion de la crise, notamment en installant sur place des centres de formation et de traitement des soignants.
À cette occasion, la France a confirmé qu’elle est, et entend demeurer, le premier partenaire de la Guinée. C’est donc sur elle en premier lieur que comptent les Guinéens pour soutenir leurs efforts de modernisation de l’État. Et, je tiens à le souligner, la coopération en matière de défense tient une place-clé dans cet effort, car elle est au cœur de ce que l’on appelle la réforme du secteur de la sécurité ‒ la RSS. En effet, les forces armées représentent une part importante des moyens de l’État, et plusieurs décennies de pratiques peu efficientes dans leur gestion rendent nécessaire leur réforme. Une LPM a d’ailleurs été votée, et une démarche d’optimisation des forces a été engagée. Mais ce qui fait du processus de RSS un domaine crucial, c’est aussi qu’en quelque sorte il « conditionne » les autres réformes, que ce soit dans le domaine administratif ou dans le domaine économique et social. En effet, l’époque est révolue où l’on opposait sécurité et développement, et nos partenaires voient aujourd’hui la sécurité comme une condition du développement. Notons d’ailleurs que les Guinéens créent une sorte de service militaire adapté (SMA), et utilisent leurs unités de génie pour mettre en valeur les immenses ressources de leur territoire.
Voici, Madame la présidente, Mesdames et messieurs les chers collègues, les principales lignes de cet accord et le contexte dans lequel il doit permettre à la France de continuer à soutenir son partenaire guinéen. Pour toutes les raisons que j’évoquais, j’émets donc un avis favorable à l’adoption du projet de loi autorisant sa ratification."
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