Le Conseil constitutionnel a rendu, le 19 mai, une décision qui pourrait réduire significativement les recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) perçues par les collectivités territoriales.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 mars 2017 par le Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant une disposition du code général des impôts considérant que la CVAE d'une société membre d'un groupe intégré fiscalement est égale à la somme des chiffres d’affaires réalisés par les sociétés du groupe, et non au chiffre d'affaires de cette société. La mesure a pour conséquence l'application à ces sociétés d'un taux de CVAE bien supérieur à celui qui s'applique aux sociétés ayant le même chiffre d'affaires, mais qui ne font pas partie d'un groupe intégré fiscalement. L'explication tient au fait que le taux de la CVAE s'élève avec le chiffre d'affaire de l'entreprise.
Contacté par Localtis, le cabinet d'avocats Lamy-Lexel développe l'exemple suivant : "Une société A a réalisé un chiffre d’affaires de 450.000 euros, pour une valeur ajoutée de 300.000 euros. Son chiffre d'affaires étant inférieur à 500.000 euros, son taux effectif d’imposition sera de 0%, et elle ne paiera pas de CVAE. Si cette même société est membre d’un groupe fiscalement intégré dont le chiffre d’affaires consolidé s’élève à 20 millions d'euros, le taux effectif d’imposition à la CVAE sera de 1,43%, soit un montant à payer de 4.290 euros." Conclusion : "La société A sera donc soumise à la CVAE, alors que si elle n’avait pas été intégrée, elle ne l’aurait pas été."
Différence de traitement
La règle prévue par le législateur pour les sociétés fiscalement intégrées avait pour but d'empêcher que les groupes ne créent de multiples sociétés pour réduire leur chiffre d'affaires et ainsi leur imposition à la CVAE. En tentant d'empêcher des pratiques d'optimisation fiscale, le législateur "a poursuivi un objectif d'intérêt général", a considéré le Conseil constitutionnel. Toutefois, "le critère de l'option en faveur du régime de l'intégration fiscale n'est […] pas en adéquation avec l'objet de la loi", a-t-il critiqué. Les Sages en ont déduit que "la différence de traitement" instituée par le législateur "méconnaît le principe d'égalité devant la loi." Ils ont donc censuré les dispositions contestées.
Cette décision devrait coûter très cher à l'Etat, qui collecte la CVAE avant de la reverser aux collectivités territoriales. En effet, alertées par des cabinets d'avocats à la suite d'une précédente décision du Conseil constitutionnel, les entreprises ont été nombreuses à agir en justice contre les dispositions sur la CVAE des sociétés membres d'un groupe intégré fiscalement. "Au 21 avril 2017, plus de 9.000 réclamations ont été recensées, portant sur cette cotisation, au titre des années 2013 à 2016 pour un montant de droit contesté d'un montant de 158 millions d'euros", a indiqué le représentant du gouvernement lors de l'audience au Conseil constitutionnel, le 2 mai dernier. "A également été constatée une augmentation du nombre de réclamations depuis la fin du mois de mars, avec 200 à 300 nouvelles réclamations par semaine", a-t-il ajouté.
"Des optimisations massives risquent d’avoir lieu"
Les collectivités territoriales doivent-elles craindre que de nouvelles entreprises ne déposent des recours pour obtenir un dégrèvement de CVAE ? A priori, non. "Le Conseil constitutionnel a en effet limité les effets de sa décision aux contentieux en cours non encore définitivement jugés", souligne Caroline Maurice. Cette avocate au cabinet Lamy-Lexel demeure toutefois prudente, dans l'attente de la publication par la juridiction du commentaire de sa décision.
En tout cas, le législateur devra prendre acte de la censure et modifier en conséquence le code général des impôts pour le paiement des cotisations de CVAE en 2018. Mais les nouvelles règles permettront-elles d'empêcher les pratiques d'optimisation fiscale ? Dans sa lettre "ADCF direct" parue vendredi dernier - mais rédigée avant la publication de la décision du Conseil constitutionnel - l'Assemblée des communautés de France (ADCF) déclarait qu'en cas de suppression de la consolidation des chiffres d'affaires pour les groupes intégrés fiscalement, "des optimisations massives risquent d’avoir lieu entre entités d’un même groupe pour répartir la valeur ajoutée dans des filiales à faible chiffre d’affaires".
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