De plus en plus de maires de France disent leur colère et leur honte devant l'impuissance de l'Etat à enrayer la ghettoïsation des quartiers difficiles, déjà confrontés à de lourds problèmes d'insécurité.
Pour nombre d'entre eux, l'abstention record dans les cités sensibles aux dernières élections régionales signe l'échec des politiques de la Ville menées depuis le milieu des années 1980.
"Je suis alarmiste, ces territoires continuent à s'enfoncer", dit à Reuters François Asensi, député-maire ex-PCF de Tremblay-en-France, commune de Seine-Saint-Denis récemment secouée par des attaques de bus.
"Ce n'est pas d'aujourd'hui que je dénonce ces ghettos de la misère, ça remonte à 1982", ajoute-t-il pour souligner que rien de ce qui a été fait jusqu'à présent n'est, selon lui, "à l'échelle des problèmes".
Avant lui, Claude Dilain, maire socialiste de Clichy-sous-Bois, épicentre des émeutes de 2005, a tenté de provoquer un électrochoc en publiant dans Le Monde, le récit d'une journée presque ordinaire dans sa commune.
L'élu a raconté comment, appelé sur l'incendie d'un local technique dans une barre d'immeuble dégradée, il finit après une longue visite des lieux par donner raison aux jeunes qui comparent le quartier du Chêne-Pointu aux favelas brésiliennes.
"J'ai été jusqu'à l'Elysée pour parler de la situation de ces copropriétés devenues des bidonvilles verticaux", écrit-il avant de dire sa "honte d'être le représentant impuissant de la République française".
François Pupponi, le maire PS de Sarcelles, s'est également insurgé dans la presse au lendemain des régionales: "La France se fout de sa banlieue, elle en a peur, elle en a honte."
Le maire de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Gilles Poux (PCF), était allé plus loin l'an dernier en déposant symboliquement plainte pour discrimination sociale et urbaine de sa ville auprès de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde).
Une démarche destinée à "faire bouger les choses" et à rappeler à Nicolas Sarkozy ses "promesses non tenues", qui contribuent, selon lui, à accentuer ce qu'il appelle la "fracture territoriale".
A chaque fois que la banlieue revient au premier plan de l'actualité, comme à Tremblay-en-France, les regards se tournent vers Fadela Amara, la secrétaire d'État à la Ville chargée de mettre en œuvre le plan "Marshall" promis par Nicolas Sarkozy.
Pour une grande partie de l'opposition, le plan "Espoir banlieues" est un échec cinglant.
La secrétaire d'Etat, qui multiplie les déplacements sur le terrain, refuse pourtant de parler d'échec, soulignant que 3,4 milliards d'euros sont débloqués chaque année par les ministères concernés et que son budget s'élève à 780 millions d'euros.
Des élus insistent sur le fait que Fadela Amara ne peut rien faire sans l'engagement de ses collègues du gouvernement. "Elle tient le clou, mais le marteau est entre les mains des autres ministres", expliquait récemment dans Paris Match Xavier Lemoine, maire UMP de Montfermeil.
François Asensi réclame "une grande politique nationale" car l'État "ne joue pas son rôle de correcteur des inégalités".
"Il faut en finir avec les territoires sélectionnés, d'un côté les ghettos de riches, de l'autre les ghettos de pauvres", dit-il, décrivant ces HLM "cages à lapins où l'on vit mal".
Le député-maire de Tremblay-en-France a récemment lancé un appel à Fadela Amara pour que sa commune puisse bénéficier du dispositif gouvernemental de rénovation urbaine (ANRU).
"L'État doit mettre au centre de son projet la rénovation urbaine, il faut une révolution" en la matière, insiste-t-il.
Il réclame également un "plan de rattrapage" pour la Seine-Saint-Denis, qui concentre depuis quelques années les problèmes et les violences urbaines.
Pour Claude Dilain, la politique de la ville, si elle n'est pas défendue au plus haut sommet de l'État par un Premier ministre capable de mobiliser tous les ministères, "ne peut résoudre les problèmes des banlieues les plus difficiles".
Lui aussi pense qu'il faudra innover, racheter en masse "les logements des marchands de sommeil" ainsi que des propriétaires qui ne peuvent faire face aux dépenses collectives et faire évoluer la législation sur les logements dégradés.
"Qu'attendons-nous ? De nouvelles émeutes ? Que la 'cocotte-minute' explose ?", demandait-il dans Le Monde.
Par Gérard Bon
Source : reuters et lemonde.fr
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