Moins médiatique que la fraude, le non-recours aux prestations sociales est aussi inquiétant, voire plus. Une personne éligible au RSA sur deux ne le réclame pas et à peine 20 % des pauvres qui ont droit à une aide pour une assurance complémentaire de santé en profitent.
L’arbre de la fraude aux allocs cache-t-il la forêt des exclus qui passent à côté des prestations auxquelles ils ont droit ? Pour le revenu de solidarité active (RSA), cela ne fait aucun doute. Dans un récent rapport, l’économiste François Bourguignon livre des chiffres sans appel. Trois ans après son lancement, le “RMI nouvelle formule” n’est pas réclamé par la moitié des personnes éligibles ! Et 68 % des travailleurs pauvres qui pourraient toucher le “RSA activité” ne le demandent pas. Le manque à gagner pour ces familles est en moyenne de 105 euros par mois et les caisses publiques font une économie de 1,8 milliard d’euros par an. Le gain s'élève à 4,9 milliards d'euros si l'on inclut le non-recours au RSA socle.
Aucune prestation n’échappe au phénomène dit du “non-recours”. “Il y a toujours au moins 10 % des gens ayant droit à une allocation qui ne la demandent pas, souligne Philippe Warin, directeur de l’Observatoire du non-recours, et cela peut grimper très haut, jusqu’à 80 % pour les aides à la complémentaire santé.” Des chiffres bien supérieurs à ceux de la fraude, même si les données restent relativement floues en France.
Dans le cas du RSA, ce sont d’abord les personnes relativement les moins en difficulté qui ne réclament pas l’aide publique. Le non-recours est plus élevé parmi les ménages les moins pauvres et aux conditions de vie les moins dégradées, parmi ceux pour qui le gain financier est le plus faible. Mais ce n’est pas la seule explication. Les chercheurs qui étudient le phénomène du non-recours aux prestations savent que les causes sont multiples. La complexité des démarches administratives arrive en tête des raisons évoquées.
Les nouvelles règles des tarifs sociaux du gaz et de l’électricité en sont un parfait exemple. Dans un premier temps, le ministère de l’Écologie a monté une usine à gaz qui a fait bondir les experts de la Commission de régulation de l’énergie. Le 2 février, ils ont tiré la sonnette d’alarme pour pointer la complexité de la procédure d’attribution de la tarification sociale de l’électricité comme produit de première nécessité (TPN). Avant de recommander qu’“une réflexion soit engagée pour élaborer un mécanisme plus simple et plus efficace d’aide aux clients en situation de précarité énergétique”. Le décret du 6 mars 2012 est désormais censé rendre automatique l’attribution des tarifs sociaux aux personnes seules dont les revenus sont inférieurs à 648 euros par mois et aux couples qui gagnent moins de 971 euros. Il était temps : près d’1 million de pauvres bénéficie de ces tarifs, alors que 2 millions y auraient droit…
Il y a quelques mois, des associations d’insertion ont été reçues par des hauts fonctionnaires du ministère de l’Écologie qui s’étonnaient que les populations défavorisées ne fassent pas davantage appel aux aides publiques pour réaliser des travaux d’isolation et réduire leur facture de chauffage. “Ces experts avaient du mal à comprendre que des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts ne prennent pas le temps de se plonger dans des démarches complexes pour obtenir une subvention”, ironise l’un des participants.
De même, les nouvelles bornes interactives des maisons de justice qui font la fierté de la Place Vendôme se révèlent totalement inadaptées aux attentes des publics les plus fragiles. Elles exigent d’avoir rassemblé à l’avance toutes les pièces d’un dossier pour effectuer un recours, mais encore faut-il savoir quelles sont les pièces demandées... Pour des personnes peu diplômées, rien ne remplace le dialogue avec un guichetier.
L’État et les collectivités ont aussi un intérêt sonnant et trébuchant à ne pas toujours débourser les aides publiques. La Cour des comptes a montré comment l’État avait rechigné à aligner les pensions des anciens combattants “indigènes” sur celles des militaires français. Le Pôle emploi n’est sans doute pas trop pressé de combler l’écart entre les chômeurs éligibles aux indemnités et ceux qui sont effectivement indemnisés.
Le ministère de l’Écologie doit aussi se féliciter secrètement que son estimation initiale de 600 000 personnes répondant aux critères du droit au logement opposable (Dalo) se soit révélée bien au-dessus de la réalité. Entre 2008 et juin 2011, quelque 220 000 recours Dalo ont été déposés, dont 44,6 % ont bénéficié d’une décision favorable. Un écart qui est en partie lié au manque de confiance dans la procédure, particulièrement en région parisienne où certaines personnes déclarées “prioritaires” par la préfecture en 2008 attendent toujours... “L’État n’a pas non plus orchestré de grande campagne de communication sur le Dalo comme il peut le faire sur le prêt à taux zéro, regrette Bernard Lacharme, rapporteur du comité de suivi du Dalo, et il n’y a pas de financement d’associations pour aider les mal-logés à effectuer leurs démarches.”
D’autres ne souhaitent pas être stigmatisés comme “assistés”. C’est sans doute pour cette raison que nombre de travailleurs pauvres conservent la prime pour l’emploi versée automatiquement et n’effectuent pas les démarches trimestrielles pour le RSA, alors qu’ils y gagneraient financièrement.
“Lorsque l’on interroge les bénéficiaires, ils se plaignent de devoir se justifier en permanence », complète la sociologue Élisabeth Maurel, avant de s’interroger : “La volonté, louable au départ, d’individualiser les aides se révèle peut-être finalement moins efficace pour réduire la pauvreté…”
Source : Acteurs Publics
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