Vincent Drezet du Syndicat national unifié des impôts publie avec Liêm Hoang Ngoc, député européen PS, le 21 octobre au Seuil, « Il faut faire payer les riches ».
Pour lui pas de doute, la campagne présidentielle sera dominée par la question fiscale. Selon lui, le cycle, débuté il y 20 ans, qui aura vu émerger une fiscalité à deux vitesses, s'achève.
Marianne: La fiscalité sera-t-elle donc au centre de la campagne de 2012 ?
Vincent Drezet : Oui, et c’est tant mieux. En 10 ans beaucoup de chose se sont passées. Les niches fiscales ont été multipliées, tandis que d’autres dispositifs ont peu à peu asséché l’impôt pesant sur les revenus du capital. Les affaires de fraudes, les paradis fiscaux ont fini de dessiner une fiscalité à deux vitesses, avec la figure du rentier comme principal gagnant.
La loi Tepa est venue conclure ce cycle. Le bouclier fiscal est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase des inégalités fiscales. Et ce vase est alors apparu au grand jour pour ce qu’il était : insupportable.
A gauche comme à droite, le débat fiscal est désormais inévitable. Je m’en réjouis. D’autant que ce débat s’ouvre sous un jour d’avantage républicain : il ne s’agit plus d’évoquer la baisse des prélèvements, mais leur réorganisation dans leurs deux dimensions naturelles : comme source de financement de l’action publique et comme outil de lutte contre les inégalités.
Marianne: Vous dites à gauche comme à droite. Mais la fiscalité demeure précisément l’un des principaux antagonismes idéologiques ?
V.D. : Il existe en effet des convergences et des divergences. Après deux décennies de reflux, un consensus s’est imposé pour faire reposer la fiscalité sur de larges assiettes, quand celles-ci s’étaient peu à peu réduites à des sous coupes. En revanche demeurent une divergence profonde. Les conservateurs prônent toujours un impôt neutre, c’est à dire une taxation proportionnelle, avec un seul taux, quand la gauche appelle elle à davantage de progressivité. Mais les lignes ont bougé. On assiste à la fin de la sacralisation idéologique. Les conservateurs s’autorisent à penser à la fin du bouclier fiscal, et le camp des progressistes peut réfléchir à la fin de l’ISF et même à une hausse de la TVA.
Marianne: Parler de hausse de TVA à gauche, n’est-ce pas un gros mot ?
V.D. : La TVA est la principale recette pour l’Etat. Certains proposent la TVA sociale sous le signe de la compétitivité, comme le firent les Allemands début 2000, avec la réussite que l’on peut observer.
En gros, il s’agit de transférer le financement des cotisations sociales qui pèsent actuellement sur les salaires, vers la TVA, c’est à dire sur la consommation. Bref, baisser le cout du travail pour les entreprises et fiscaliser les assurances sociales, qui au passage le sont déjà via la CSG. Traditionnellement, pour le camp progressiste cette option est considérée comme un sacrilège. Moi même j’avais du mal à dépasser la simple équation TVA=injustice. Mais il faut savoir sortir de l’a priori, mettre ses arguments à l’épreuve en se documentant sur la base d’une approche plus large, économique et sociale. C’est en examinant le fond de cette proposition et ses effets concrets ; comme l’impossibilité de répercuter la baisse des « charges » sur le travail non qualifié, le fait qu’on ne produit pas ce qu’on importe, ou encore le précédent de la baisse de la TVA sur la restauration (la compétitivité supplémentaire des entreprises de ce secteur ne s’est traduite ni en baisse des prix pour le client ni en hausse des salaires pour les personnels. La marge a été totalement captée par les propriétaires) que j’en conclus désormais qu’il faut refuser la TVA sociale, et pas sur un simple slogan.
Marianne: Vous êtes devenu un promoteur de la seconde gauche ?
V.D. : Non, ni de la seconde au sens rocardien du terme, ni de la troisième, plus écologiste. On pourrait parler de quatrième gauche, même si c’est un peu abusif. Mon approche n’a pas changé, mais on ne peut se départir de l’analyse qui ressort de la crise. Rendre plus compétitive les entreprises avec comme objectif de meilleurs salaires, c'est se donner les moyens de sortir de la spirale de la dette. On a vu avec la crise des subprimes que l’atonie des salaires avait conduit ces travailleurs à s’endetter auprès de prêteurs qui n’étaient autres que les rentiers rendus encore plus riches par les baisses d’impôts.
De meilleurs salaries, c’est enfin une demande solvable et importante pour les entreprises. Encore que se pose la question de la concurrence avec les pays émergents. Certains promoteurs de la TVA dite sociale voient en elle une réponse adaptée. A mon sens, il existe de meilleurs outils fiscaux alternatifs...
Marianne: Comment percevez-vous, la récente initiative d’une centaine de député de droite mettant fin corrélativement au bouclier fiscal et à l’ISF ?
V.D. : Je ne suis pas complètement dupe. Cette démarche s’inscrit évidemment dans un contexte politique délicat. Il s’agit d’offrir une porte de sortie au bouclier fiscal devenu un boulet pour Nicolas Sarkozy. Il y a d’ailleurs clairement répondu en annonçant une loi fiscale pour début 2011.
Mais cela ne doit pas occulter la couleur républicaine nouvelle qui apparaît. Le texte Michel Piron, le député UMP en est caractéristique. Il est astucieux. Il va bien plus loin que le deal classique fin de l’ISF contre fin du bouclier, ainsi que le proposent depuis des lustres les sénateurs Jean Arthuis et Philippe Marini. Il tend à reconstruire ce que ce dernier à patiemment décousu : une meilleure taxation du capital, tant des revenus qui en sont issus que lors des successions. Mais il demeure insuffisant en ce qu’il ignore la question de la progressivité générale de l’impôt qui passe par une imposition de tous les revenus selon les mêmes règles et par une imposition du stock de patrimoine.
Vincent Drezet (Syndicat national unifié des impôts) et Liêm Hoang Ngoc (député européen PS) publient le 21 octobre au Seuil, Il faut faire payer les riches.
A lire dans son contexte et son intégralité (marianne2.fr)
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