Tout n'a pas encore été dit sur le retrait de Céline des Célébrations nationales. En supprimant le pseudonyme de l'écrivain controversé, c'est l'un des rares prénoms féminins de la liste que l'on a effacé. Sur soixante six anniversaires signalés, seuls cinq concernent des femmes, soit un peu plus de 7%. Le ratio est constant : si les femmes représentent en moyenne 20 à 30% des écrivaines, des artistes et des héroïnes, elles sont rarement plus de 5% à entrer dans l'Histoire, jamais plus de 10%. Pendant que l'on débat sans relâche de l'homme en trop, ce sont les femmes qui, en nombre, sont frappées d'indignité nationale.
Les preuves de l'inscription des femmes dans leur temps ne manquent pas. Des recherches en histoire à l'exposition consacrée aux femmes artistes au Centre Pompidou, de nombreux travaux ont mis en lumière la part féminine de nos illustrations nationales. Pourtant, quand il s'agit d'écrire l'histoire officielle, c'est encore et toujours aux seuls grands hommes que la Patrie témoigne sa reconnaissance.
Le millésime 2011 des Célébrations nationales s'annonçait prometteur. Dans sa préface au recueil, l'historien Alain Corbin s'élève contre la soumission à l'air du temps. Au nom du Haut comité des célébrations nationales, il s'engage à faire justice aux oubliés de l'histoire.
Aux côtés de Clovis, d'Hervé Bazin, du premier album d'Astérix et de la maison de couture Yves Saint Laurent, on découvre des personnalités bien moins connues du grand public comme le mémorialiste Pierre de l'Estoile, le peintre Jean Berain ou encore l'organiste Jehan Alain. La diversité de ces figures illustre le caractère transitoire des représentations "du héros, du grand homme, de l'artiste, du savant voire du saint". Les quelques femmes signalées ne suffisent pas à en questionner la masculinité.
L'incontournable exception, Marie Curie, dont on célèbre le cinquantenaire du Prix Nobel, est entourée de figures qui ont brillé dans les enceintes de couvents ou dans le champ d'arts mineurs. Dans le domaine artistique, le recueil mentionne une auteure de contes pour enfants, Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, et une compositrice de chansons, Marguerite Monnot. Il passe sous silence la sculptrice et plasticienne, Louise Bourgeois, dont on aurait pu célébrer le centenaire.
En plus des personnalités et de leurs œuvres, le recueil nous suggère de commémorer des événements. Difficiles à classer en masculins ou féminins, ces évènements marquent des étapes, rappellent ce qui a façonné le monde dans lequel nous vivons. Parmi ceux que l'on signale à l'admiration nationale, on peut citer : le "traité de Saint-Clair-sur-Epte" (911), "l'ouverture au public des stations de télégraphe installées dans les préfectures" (1861) ou encore "l'inauguration de l'aérogare-sud d'Orly par le président de Gaulle, le 24 février 1961".
Ce dernier édifice a frappé les esprits par ses dimensions. À l'époque, l'émission télévisée Cinq colonnes à la une mobilise des exemples étrangers pour attester du caractère hors-norme de l'aérogare. Quelques mois plus tard, la même émission, la plus regardée du petit écran, consacrera un reportage à "l'expérience grenobloise".
En 1961, à Grenoble, a ouvert le premier centre du Mouvement français pour le planning familial. La révolution du contrôle des naissances est en marche. Les journalistes ne s'y sont pas trompés. Ils consacrent l'événement tout en soulignant qu'il n'a déplacé aucun représentant officiel. Cinquante ans plus tard, le recueil 2011 des célébrations nationales reproduit fidèlement, trop fidèlement, cette hiérarchie.
Dans une société qui s'efforce de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il nous invite à célébrer l'édifice qui a permis un développement exponentiel des liaisons aériennes. Et, tandis que la fermeture des centres IVG – interruption volontaire de grossesse – restreint, dans les faits, le droit des femmes à disposer de leur corps, il passe sous silence la transgression qui a autorisé une vraie révolution. La recherche du consensus peut conduire à l'erreur historique. À trop vouloir se détacher des contingences de l'actualité, le Haut comité se retrouve victime du jugement de l'époque.
A l'approche du 8 mars, la dénonciation de l'invisibilité des femmes et des événements qui ont marqué leur histoire prend tout son sens. Elle ne doit pas demeurer ponctuelle. Le recueil des célébrations nationales est une publication annuelle et l'année 2012 représente une échéance attendue. En ligne sur le site du ministère de la culture, la "première liste d'anniversaires pour 2012" ne comprend qu'une femme, Lucie Aubrac, dont on fêtera le centenaire de la naissance. Cette liste est encore provisoire. En suggérant au Haut comité des célébrations nationales des noms de femmes, faisons en sorte que 2012 soit l'année des listes paritaires, l'année où les femmes, en nombre, seront élevées aux plus hautes dignités nationales.
Source Le Monde
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