Le gouvernement commence à préciser les contours de sa fameuse prime aux salariés. Mais ces précisions ne lèvent pas, loin de là, les nombreux doutes soulevés cette mesure opportune, à un an de la présidentielle.
Invité d'Europe 1, jeudi 21 avril, Xavier Bertrand s'est montré volontairement flou sur le nombre de bénéficiaires potentiels de cette mesure. Selon lui, elle concernera "30 000 entreprises" de plus de 50 employés, dans lesquelles elle sera obligatoire. "C'est 8 millions de salariés, c'est plus d'un salarié sur deux", insiste le ministre.
Dans cette déclaration, il oublie pourtant une donnée essentielle : la prime ne sera obligatoire que dans les entreprises qui distribuent des dividendes, et dans lesquelles ceux-ci sont en hausse. Ce qui diminue très nettement le nombre de bénéficiaires.
Selon le rapport Cotis sur le partage de la valeur ajoutée, remis en 2009 à Nicolas Sarkozy, les 240 grandes entreprises (plus de 5 000 employés) françaises étaient 41 % à verser des dividendes en 2007. Seules 30,6 % des 5 000 entreprises de taille intermédiaire (250 à 5000 salariés) et 16,4 % des 3,07 millions de PME étaient dans ce cas.
Quant à la hausse des dividendes, elle est en trompe-l'œil : si elle est réelle pour les sociétés du CAC 40, il n'est pas du tout évident qu'elle soit généralisée à l'ensemble des grandes entreprises, sans même parler des entreprises de taille intermédiaires (ETI) qui en distribuent.
Or, comme le rappelle L'Expansion.com, les 40 plus grosses sociétés de France emploient au total 1,47 millions de salariés. Et toutes n'ont pas augmenté leurs dividendes, loin de là. En 2011, seules 19 d'entre elles ont versé à leurs actionnaires plus qu'en 2010, comme le montre ce tableau.
De plus, si le montant total de ces dividendes est de 39,8 milliards pour 2011, il est en fait concentré entre quelques sociétés parmi les 40 du CAC : comme le notaient Les Echos en janvier, cinq groupes (Total, France Télécom, GDF Suez, Sanofi-Aventis et BNP Paribas) concentrent à eux seuls 40% des dividendes versés aux actionnaires au sein du CAC entre 2005 et 2009.
Lorsqu'il avait pour la première fois évoqué cette prime, le 13 avril, François Baroin avait parlé "d'un dispositif simple sous forme d'une prime exceptionnelle dont le montant n'est pas encore stabilisé – au moins 1 000 euros".
Les dernières déclarations du gouvernement montrent que ce "au moins" s'est transformé en "au plus" : les 1 000 euros sont devenus le plafond maximum de l'exonération dont pourront bénéficier les PME de moins de cinquante salariés si elles décident d'accorder une prime à leurs salariés.
Le montant de la prime que le gouvernement souhaite rendre obligatoire sera "à déterminer par le biais de la négociation entre l'employeur et les organisations représentatives des salariés", a précisé Christine Lagarde jeudi 21 avril. Le calendrier du versement de la prime sera également à déterminer lors de ces négociations.
Pour élargir la mesure aux salariés des plus petites entreprises, le gouvernement propose aux PME de moins de 50 employés une défiscalisation partielle en cas de prime. De fait, celle-ci sera partiellement exonérée jusqu'à 1 000 euros, mais les employeurs devront s'acquitter de la CSG et de la CRDS, soit 8 % de charges.
Christine Lagarde fait néanmoins le pari que "dès lors qu'elles le peuvent, qu'elles 'performent' bien, qu'elles réalisent des bénéfices et que [les chefs d'entreprise] veulent y associer les salariés, elles paieront la prime". Mais combien sont-elles à "performer" ?
On comptait, selon le gouvernement, 2,5 millions de PME comptant 1 à 50 salariés en 2007. Selon l'enquête conjoncturelle d'Oseo en janvier 2011, les patrons des petites entreprises anticipent un rebond cette année, mais dans des proportions faibles : en moyenne, +3,6 % de croissance du chiffre d'affaires sur l'année. Une progression par rapport à 2010, mais qui reste timide. Le nombre de PME qui pourront verser cette prime, même partiellement défiscalisée, pourrait donc s'avérer réduit.
Source : Le Monde
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