Pour réduire les inégalités de revenus, il est possible de jouer sur deux leviers. Le premier porte sur les revenus d'activité et du patrimoine, le second relève du système de redistribution, via les prestations sociales et les prélèvements.
Des riches plus riches, des pauvres plus pauvres. C'est ce qui ressort clairement de l'évolution des niveaux de vie entre 2002 et 2009. Alors que les inégalités avaient plutôt eu tendance à diminuer lentement jusqu'en 2002, elles ont recommencé à s'accentuer depuis. Ainsi, le dixième le moins favorisé des ménages a vu son niveau de vie reculer en moyenne de 2,1 %, tandis que le dixième le plus favorisé l'a vu augmenter de 9,6 % (et même de 12 % pour le vingtième le plus favorisé). Et l'écart entre la moyenne des deux dixièmes extrêmes est passé de 6 à 6,7. Cette déformation du partage des richesses a donc débuté avant même la crise.
En s'accentuant, ces inégalités nuisent non seulement à la cohésion sociale, mais aussi au bien-être et à la santé de toute la société.
En ce qui concerne les revenus du travail, et plus particulièrement les revenus du travail salarié, on pense évidemment d'abord au relèvement du salaire minimum, le Smic. Il n'est cependant pas certain que ce soit la meilleure méthode, car les inégalités salariales tiennent moins au salaire horaire qu'à la durée effective de travail rémunéré. En 2009, le quart des 24,4 millions de salariés ayant le revenu salarial le plus faible ont gagné en moyenne 3 890 euros sur l'année - l'équivalent de trois mois et demi de Smic à plein temps -, soit dix fois moins que le quart au revenu salarial le plus élevé (38 750 euros). Les différences de temps de travail expliquent 84 % de cet écart : les premiers ont été payés 95 jours en équivalent temps plein dans l'année (y compris les jours non travaillés inclus dans le contrat de travail), alors que les seconds l'ont été toute l'année ou presque.
Lutter contre les inégalités salariales, c'est donc d'abord lutter contre les contrats temporaires et les temps partiels. De fait, les trois branches d'activité qui comptent le plus de travailleurs pauvres sont aussi celles qui recourent le plus aux temps partiels et aux contrats temporaires : hôtels et restaurants (19,2 % de travailleurs pauvres), services personnels et domestiques (15,3 %), intérim (13,3 %). Or, surprise : les deux premières branches bénéficient d'un soutien fiscal actif des pouvoirs publics, avec un taux réduit de TVA pour la restauration et une déductibilité fiscale de moitié du coût salarial pour les services à la personne. En conditionnant ces avantages fiscaux au respect d'engagements des professionnels sur la limitation des emplois à temps partiel, ou en sanctionnant les recours excessifs aux CDD ou à l'intérim, on pourra relever le bas de la distribution des revenus salariaux.
En revanche, le résultat d'une action directe sur le niveau des salaires horaires, que ce soit par le bas (Smic) ou par le haut - instauration d'un " revenu maximal admissible " (RMA) - est plus hypothétique, en raison des potentiels effets pervers que cela pourrait susciter. Une hausse du Smic a en effet des répercussions directes sur un tiers des salariés français, ceux dont les gains horaires sont compris entre 1 et 1,3 fois le Smic. Par exemple, une progression de 2 euros bruts de l'heure (1,55 euro net de l'heure) représenterait un surcoût de l'ordre de 16 à 18 milliards d'euros pour l'ensemble des employeurs français, en supposant que la hausse se diffuse de façon dégressive jusqu'à 1,3 fois le Smic. Cela pourrait provoquer des compressions d'emplois, les employeurs cherchant à rattraper ce surcoût salarial par des gains de productivité accrus.
Quant à la limitation par le haut - le " RMA " -, elle risquerait de susciter des délocalisations importantes de sièges sociaux. En revanche, la limitation des dividendes (et des très hauts revenus salariaux) par l'impôt est tout à fait envisageable. Mais on entre là dans le domaine de la redistribution.
La redistribution est loin d'être inefficace : grâce à elle, le niveau de vie du cinquième le plus défavorisé de la population progresse de moitié, tandis que celui du cinquième le plus favorisé est réduit de 20 %. Mais cette fonction redistributrice s'est atténuée depuis une vingtaine d'années : le cinquième le mieux loti est davantage épargné par le fisc, ce qui lui a procuré un gain de niveau de vie de 2 %, tandis que les prestations sociales sont devenues moins progressives, réduisant de 2 % le niveau de vie du cinquième le moins bien loti.
Il faut donc d'abord accentuer le caractère redistributif des prestations sociales, notamment par le biais d'une réforme du quotient familial et d'une augmentation du montant des minima sociaux. Le dernier rapport d'évaluation du revenu de solidarité active (RSA) a montré que le RSA activité n'a pas spécialement incité à la multiplication d'emplois très temporaires ou à temps très partiel, comme on pouvait le craindre. Il pourrait donc être étendu en absorbant l'actuelle prime pour l'emploi et en la recentrant sur les bas salaires. Une réforme complexe, puisque le RSA est attribué en fonction du revenu familial, alors que la prime pour l'emploi l'est en fonction du revenu d'activité personnel. Ce qui pourrait plaider en faveur d'un impôt sur le revenu qui ne soit plus familialisé.
Source : Alternatives économiques
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