Il faut prendre au mot un gouvernement qui entend faire adopter une loi interdisant la burqa dans l'espace public au nom de la lutte contre les discriminations sexistes.
Pour cela, commencer par s'attaquer à celles qui se pratiquent dans son propre cercle. D'abord se demander, par exemple, pourquoi les femmes sont maltraitées dès l'accès à l'École nationale d'administration (ENA). Et pourquoi elles sont spécifiquement barrées au moment où "la différence se voit", comme dirait une ancienne candidate à la présidentielle.
Certes le discours français est en apparence parfaitement libéral, ici comme ailleurs, et il se fonde sur les meilleures intentions du monde. Le dernier rapport relatif aux concours d'entrée à l'ENA est sans reproche possible : "les jurys n'ont pas été orientés, a priori, par ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui la recherche de la "diversité sociale". Non pas qu'ils aient sous-estimé que celle-ci est souhaitable en elle-même. Mais il leur a semblé… qu'un candidat (ou une candidate) devait être apprécié par lui-même au regard de ses seules prestations sans qu'aucun objectif de répartition générale, quelle qu'en soit la nature, puisse être appelé à se superposer à cette évaluation personnelle".
Aussi, "aucune différence n'a été ressentie du fait de l'appartenance à l'un ou l'autre sexe et les membres du jury n'ont pas été tentés de procéder eux-mêmes à une analyse statistique quelconque des lauréats des concours, des admissibles ou de ceux qui avaient échoué à l'écrit, afin de rester fidèles à l'esprit qui les a animés tout au long des épreuves".
Il existe pourtant une différence flagrante de traitement à l'oral : au concours ouvert aux étudiants, après les épreuves écrites, les seules véritablement anonymes, les admissibles comportaient 46,3 % de femmes ; l'oral leur fait perdre quasiment dix points et elles ne sont plus que 37, 5 % des reçus. Et cette disparité se reproduit toujours dans le même sens, année après année…
Or, il ne serait pas bien difficile de changer un tout petit peu les règles du jeu pour espérer le rendre neutre. En Allemagne, par exemple, les jurys ne sont pas seulement paritaires, comme en France, mais leur appréciation repose surtout à l'oral sur des notes mises de façon séparée, sans jeu d'influences conscientes ou non, sans effet d'entraînement, alors que la fréquente pratique française d'"unanimité" n'est pour le moins guère ouverte à la pluralité.
Une loi ne serait même pas nécessaire pour remédier à cette disparité. Il suffirait sans doute d'une prise de conscience et de quelques retouches dans le mode de fonctionnement des jurys.
Si le but est vraiment en France, aujourd'hui, de mettre fin aux discriminations sexistes, alors commençons par le plus simple et le plus urgent, qui ne heurte aucune liberté fondamentale mais prend au sérieux la liberté, l'égalité et la "fraternité" au sens large.
Martine Lombard, ancienne présidente des jurys des concours d'entrée à l'ENA
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