Hier, le climat était particulièrement houleux à l'Assemblée nationale. C'est dans un Palais Bourbon bouclé par les forces de l'ordre pour tenir à distance les quelques 4 000 manifestants hostiles au texte, que s'est ouvert le débat autour de la proposition de loi sanctionnant la négation du génocide arménien de 1915. Ce texte discuté sous la pression des arméniens de France, a déchaîné la fureur des autorités turques, qui ont menacé la France de multiples représailles, diplomatiques avec le rappel de son ambassadeur et économiques avec le gel de plusieurs importants contrats.
Depuis près de quinze ans, ce thème douloureux, alimente la controverse, sur l'opportunité, voire la constitutionnalité des lois mémorielles introduites par le législateur. Celui-ci doit-il ou non légiférer sur des événements historiques tels que le génocide arménien ? Des propositions de lois mémorielles ont été lancées par la majorité comme par l'opposition, le clivage sur ce sujet n'est pas strictement partisan.
Le malaise des politiques est donc réel et le débat complexe. Les opposants dénoncent une «loi électoraliste», les défenseurs de la loi la qualifient de nécessaire pour garder en mémoire un fait historique.
Définition.
Le concept de « loi mémorielle » est très récent puisqu’il a été forgé à l'automne 2005. Celles-ci sont de deux sortes : l’une reconnaît solennellement un fait préexistant, l’autre a une fonction normative lorsqu’elle contient une sanction applicable par les juges (comme la loi votée aujourd’hui).
Rappel historique.
La 1ère loi a été instaurée pour lutter contre la négation de faits historiques. La loi Gayssot a notamment été adoptée dans un contexte de publicité des thèses du négationniste Robert Faurisson remettant en cause le génocide des Juifs.
Quatre lois sont qualifiées de mémorielles :
- la loi Gayssot du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.
- la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 : elle est purement déclarative, mais une proposition de loi visant à lui ajouter une fonction normative est actuellement examinée par le Sénat.
- la loi Taubira du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance, par la France, de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.
D’autres exemples existent dans d’autres pays. L'interdiction à la vente de Mein Kampf, est en vigueur dans plusieurs pays, dont l'Allemagne, où il est par ailleurs interdit de commercialiser ou diffuser des objets nazis. Les lois ou résolutions votées dans de nombreux parlements pour reconnaître l'existence du génocide arménien appartiennent également à la catégorie des lois mémorielles.
Dans l’ensemble, les historiens s’y opposent largement, s’élevant contre des lois qui entravent ce qu’est leur discipline : un espace de débat et de recherche.
« Tous les historiens vous répondront la même chose que moi ! Ce n’est pas aux politiques d’écrire l’histoire et ils ne l’écrivent que sous la pression électorale ! » explique Pierre Nora, membre de l’Académie française, fondateur de la revue Le Débat, à la veille de l’examen par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à sanctionner la négation des génocides, dont celui des Arméniens. Selon lui, « Le politique doit s’occuper du passé, mais il lui incombe d’orienter la mémoire collective par des commémorations, des résolutions, des hommages, des réparations financières éventuelles, il ne lui revient pas de faire des lois qui figent complètement l’histoire, qui doit être laissée aux historiens. »
Un texte du 23 février 2005 qui disposait que "les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer" avait déjà provoqué la colère des historiens qui n'admettaient pas que la loi écrive l'Histoire. Ils considéraient l'ingérence du législateur a pu être qualifiée d'entreprise de falsification confinant au révisionnisme.
Introduit par un amendement, la polémique avait contraint Jacques Chirac à une déclaration solennelle qui avait abouti à la suppression inédite de cet article après l'adoption définitive de la loi.
Pour Pierre Nora, qu’il s’agisse du génocide arménien, reconnu par la France, ou de toute autre question, « elle ne doit pas être celle de la mémoire qui se situe dans le registre de l’émotion mais la mémoire qui se situe dans celui de la raison et en tout état de cause, la loi ne doit pas empêcher les historiens et les scientifiques de faire leur travail ».
En 2008, la mission Accoyer sur les lois mémorielles avait conclu que « le rôle du Parlement n’est pas d’adopter des lois qualifiant ou portant une appréciation sur des faits historiques, a fortiori lorsque celles-ci s’accompagnent de sanctions pénales ».
Commentaires