Les libraires ne savent plus à quel saint se vouer. Au 1er avril, la TVA sur le livre passera officiellement de 5,5 % à 7 %. Cette mesure, décidée à l'automne 2011 par le chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, a été prise dans le plus grand secret, mais aussi dans la plus grande impréparation. Pour ajouter à la pagaille, François Hollande, le candidat socialiste à l'élection présidentielle, a promis de revenir à une taxe de 5,5 % s'il est élu président de la République, car le livre doit être considéré comme "un bien de première nécessité", selon lui.
Que faire ? Répercuter la hausse ou attendre ? Pour les libraires qui ont pour saint patron Jordi, alias Georges, célébré le 23 avril, la situation est complexe. Aussi, le 28 avril, 450 d'entre eux se mobiliseront entre les deux tours de l'élection présidentielle pour la fête de la librairie indépendante, organisée en l'honneur de ce saint.
Chaque client qui achètera ce jour-là un livre, se verra remettre un autre livre, édité par l'association Verbes, et une rose. Il ne faut donner aucun caractère politique à ce dernier geste, mais quand saint Georges terrassa le dragon, selon La Légende dorée de Jacques de Voragine, un rosier fleurit dans la plaie ouverte.
Outre la hausse de la TVA, les dragons que les libraires ont à vaincre aujourd'hui sont légion : la progression des ventes en ligne de livres physiques - un marché qui leur échappe au profit d'Amazon et de la Fnac -, mais aussi le développement à venir du livre électronique, des liseuses et des tablettes, - un autre marché d'où ils sont quasi-absents, à de rares initiatives près, comme les librairies Dialogues à Brest et Decitre à Lyon. A cela s'ajoute la hausse des charges, notamment les loyers en centre-ville.
De fait, en cinq ans, la situation économique de la librairie s'est détériorée. Le profit a toujours été faible dans cette profession. Mais alors qu'en 2007 la rentabilité moyenne d'une librairie s'établissait à 1,4 % du chiffre d'affaires (2 % pour les plus grandes, 0,6 % pour les plus petites), elle est tombée à 0,3 % en 2011. Entre 2003 et 2010, les librairies ont vu leur chiffre d'affaires reculer de 5,4 %, alors que le marché du livre progressait sur même période. Un libraire très qualifié ayant seize années d'ancienneté gagne 1,6 fois le smic, salaire qui permet de vivre dans certaines métropoles régionales mais pas à Paris, Lyon ou Marseille.
Dans ces conditions, la décision d'augmenter de 1,5 % le taux de TVA sur le livre apparaît comme maladroite et inadaptée. Cette mesure ne rapportera qu'environ 60 millions d'euros dans les caisses de l'Etat, somme qui peut être jugée dérisoire par rapport aux coûts en informatique, en temps et en sueur pour les libraires.
Première industrie culturelle, avec 5 milliards d'euros, le livre est un secteur très éclaté. On ne compte pas moins de 8 000 éditeurs. Si l'ensemble des gros ont répercuté la hausse de 1,5 %, à la demande du syndicat de la librairie française - la TVA est un impôt neutre qui touche in fine le consommateur -, la majorité des petits n'ont en revanche rien fait. Et une belle cacophonie est à prévoir.
La librairie est aussi un métier de manutention, les libraires passant leur temps à ouvrir et à fermer des cartons. Sur les 4 000 points de vente importants, seuls 30 % sont informatisés. Beaucoup de librairies ont dû fermer deux jours pour assurer le réétiquetage du fonds et des nouveautés. "C'est une aberration absolue dans la gestion, au jour le jour ; c'est démesuré", souligne un libraire. Même si cela a été fait avec l'inventaire.
Conscients de leur bévue, les pouvoirs publics ont tenté de rattraper le coup. La décision de retarder de quatre mois la hausse de la TVA - prévue d'abord au 1er janvier - a permis d'amortir le choc et d'éviter que les libraires ne renvoient des centaines de milliers de livres entre Noël et le Jour de l'an.
De même, les pouvoirs publics ont autorisé les libraires à avertir de l'augmentation tarifaire par une simple affiche placée sur la vitrine de leur magasin ou près de la caisse. Mais les libraires craignent l'impact négatif au niveau des achats. De plus, la loi dit que le prix indiqué sur un ouvrage fait foi. Dans ces conditions, les libraires préféreront obtempérer plutôt que de nourrir des contentieux.
De fait, pour compenser la hausse de la TVA sur le livre physique, la principale mesure prise par M. Sarkozy a été de décider un alignement du prix du livre numérique à 7 % (contre 19,6 % avant, car pour la Commission européenne il s'agit d'un service), mais ce faisant le chef de l'Etat a donné satisfaction aux éditeurs. Pas aux libraires !
Source : Le Monde
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