Les inégalités se sont beaucoup accentuées entre 2002 et 2011, phénomène en partie dû à la crise mais aussi à des choix politiques en matière de fiscalité et à l’appétit des actionnaires dans le contexte de la mondialisation.
Si la France a pu limiter d’avantage qu’ailleurs les inégalités de revenus, ce n’est plus le cas d’après l’enquête sur le revenu des ménages en 2011 publiée par l’Insee. Des riches nettement plus riches et des pauvres encore plus pauvres, mais pas seulement par l’effet crise.
En 1996, le premier dixième de la population soit 5,6 millions de personnes au niveau de vie le plus bas, se partageait 39 milliards d’euros. Quinze ans plus tard, c’est 50 milliards qu’ils se partagent, soit une amélioration de 92 euros mensuels (666 euros au lieu de 574 euros). Dans le même temps, à l’autre bout de l’échelle, le dixième des plus riches a capté 119 milliards de revenus supplémentaires, passant de 3560 euros à 4890 euros soit 1330 euros de plus…
Retour en arrière…
●De 1996 à 2002, les revenus du dixième le plus pauvre progresse de 10 milliards entraînant un recul du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté de l’ordre de 600.000 car le taux de chômage baisse sensiblement. Le nombre d’emploi progresse alors de 1,7 million avec une progression du niveau de vie de 22 %.
●Entre 2002 et 2008, le nombre d’emplois continue d’augmenter (plus 1,25 million) permettant la poursuite de la baisse du chômage, avec un bémol avec le taux de pauvreté qui cesse de baisser. En effet il s’agit souvent d’emplois de mauvaise qualité entraînant une stagnation du niveau de vie du dixième le plus pauvre (avec une moyenne de 700 euros mensuel). Le niveau de vie du dixième le plus riche augmente quant à lui de 11%.
●De 2008 à 2011, c’est le temps de la crise et le grand écart. Le niveau de vie des pauvres recule sensiblement passant à 665 euros et le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté s’accroît de d’un million, tandis que le chômage explose. Les revenus des 10% les plus aisés continuent eux d’augmenter, surtout chez les 5 % qui constituent la pointe de la pyramide sociale et qui captent à eux seuls 53% de la faible progression des revenus de l’ensemble des ménages et 79 % de celle des 10 % des plus riches…la crise a été supportée et payée essentiellement par la partie le plus pauvre de la population.
Une partie de l’explication est politique, avec son « paquet fiscal », Nicolas Sarkozy pensait faire surgir la croissance avec la baisse des impôts. L’échec a été complet, car c’est durant cette période que la répartition des revenus a été la plus inégalitaire et que l’activité a le plus stagné. Cela a abouti à concentrer un peu plus la richesse et non à la créer.
Mais ce qui est surtout en cause, c’est la dynamique de la rémunération globale du capital. Dans des économies mondialisées, largement ouvertes sur l’extérieur, pour que le capital ne reflue pas, il faut que sa rémunération soit du même ordre de grandeur qu’ailleurs. Cela vaut pour les dividendes et particulièrement ceux des sociétés cotées, dont une part importante des action est détenue par des non résidents. Ainsi en 2012,(dividendes des résultats 2011), les sociétés non financières ont versé à leurs actionnaires 8,9% de valeur ajoutée brute : c’est la proportion la plus élevée jamais enregistrée. Entre-temps, l’excédent brut d’exploitation des entreprises (ce qui permet de payer les impôts sur le bénéfice, le remboursement des prêts et intérêts, la rémunération des actionnaires) s’est contracté d’une trentaine de milliards. La logique voudrait qu’à rentabilité moindre, les entreprises rémunèrent moins leurs actionnaires, c’est sans compter sur la volonté de les rémunérer prioritairement car sinon se profile la migration des capitaux ailleurs, économie mondialisée et financiarisée oblige ! Les investissement deviennent la variable d’ajustement, avec des banques qui en période de crise resserrent les crédits. Ainsi l’investissement net des sociétés non financières est passé de 54 milliards à 32 milliards en 2012 avec au bout du compte moins de demande, moins d’emplois, moins de compétitivité… Cette nouvelle norme actionnariale joue aussi sur tous les détenteurs de capital financier ( fonds de pension, d’investissement, de capital risque…) avec des rémunérations variables qui s’envolent et ainsi les 5 % des ménages les mieux lotis (environ 80.000 ménages) ont vu leur niveau de vie augmenter de 38 % entre 2009 et 2011 (euros constants). Les hauts niveaux de vie se sont certes « démocratisés » mais constituent un groupe social minoritaire dont l’influence sur la vie sociale et politique est sans commune mesure avec son poids numérique.
C’est ainsi qu’une société se défait. Les pauvres souffrent, même si l’on ose réduire le peu qu’ils ont, bien qu’on ne se prive pas déjà de les accuser d’abuser et de vivre aux crochets de la société.
Les riches ne se vivent pas comme des privilégiés, persuadés que nombreux sont dans la même situation, et que cela tient exclusivement à leurs mérites. La France rejoint peu à peu le peloton des pays que le libéralisme a gangrenés et dans lequel les riches mènent depuis longtemps la charge contre les seuls remparts qui puissent permettre une répartition moins inéquitable : la protection sociale et l’impôt.
sources : Alternatives Economiques ( Denis Clerc)
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