Un article de Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux «Echos».
Enfin du sérieux! Ces derniers temps, tous les grands débats sur l'avenir du capitalisme sonnaient creux. Ils commencent le plus souvent par une tirade exaltante sur la réinvention du monde, avant de se conclure sur des propositions assoupissantes comme l'aménagement de la norme comptable IAS 39, l'agrément des agences de notation ou la lobotomie des financiers pour leur ôter la dendrite du risque fou. Avec la polémique sur les dividendes, il en va tout autrement. Les entreprises donnent-elles trop d'argent à leurs propriétaires ? L'argent réclamé à l'Etat et donc aux contribuables va-t-il aller dans la poche des actionnaires ? Ici, il est enfin question du capital, et donc du capitalisme.
Avant d'en venir aux questions du jour, il semble indispensable de rappeler des notions de base qui semblent parfois oubliées. Le dividende est, selon le "Robert", la «quote-part des bénéfices réalisés par une entreprise, attribuée à chaque associé ». C'est la rémunération logique de l'actionnaire qui apporte son argent dans une aventure économique. Elle n'est pas la seule: il y a aussi la plus-value, l'appréciation de la valeur de l'action, qui est souvent moins taxée par le percepteur que le dividende. Mais pour éviter les à-coups, limiter les risques de bulle spéculative, il vaut mieux que les actionnaires, en particulier les fonds de pension qui gèrent des retraites, touchent un revenu plutôt que de vendre brutalement un paquet d'actions. Dernière précision essentielle: le dividende rémunère le capital, mais aussi le risque. Il peut donc monter mais aussi descendre, à l'inverse des intérêts fixes versés à un prêteur. C'est la différence fondamentale entre une action et une obligation.
Première question d'actualité:le gouvernement peut-il interdire le versement de dividendes? En temps normal, la réponse est bien sûr non. Sauf que nous ne sommes pas en temps normal. Des fleurons financiers et industriels veulent emprunter de l'argent à l'Etat. Or un prêteur peut exiger ce qu'il veut. Il y a vingt ans, on parlait de « la dictature des marchés » quand les prêteurs internationaux exigeaient de la France des mesures pour rééquilibrer ses comptes. Dans la crise actuelle, ce n'est plus le marché, mais l'Etat qui est en mesure de dicter ses conditions. Aux Etats-Unis, les pouvoirs publics ont par exemple plafonné le dividende 2008 de la banque Citigroup à... Un cent de dollar en échange d'un plan de sauvetage. En revanche, une fois que l'accord est conclu, le prêteur n'a plus droit à la parole (à l'inverse de l'actionnaire). Nicolas Sarkozy peut demander aux banques de supprimer les dividendes avant de leur prêter de l'argent. Pas après.
Deuxième question d'actualité: une entreprise en pertes peut-elle verser des dividendes ? A suivre notre ami le "Robert", il n'en est pas question. Pas de bénéfices, pas de quote-part. Même réponse en menant un raisonnement économique élémentaire: quand une entreprise perd de l'argent, il est malsain d'en perdre encore plus en rémunérant ses actionnaires. Cela revient à prélever du sang sur un homme en pleine hémorragie. Mais la réalité est tout autre. Citigroup va donc récompenser ses actionnaires malgré des pertes de 19 milliards de dollars. La Deutsche Bank aussi, avec un trou de 4 milliards d'euros. Cette poursuite du dividende peut se justifier quand la perte est exceptionnelle (1). Mais, dans le contexte actuel, personne ne peut sérieusement soutenir qu'il n'y aura pas de pertes en 2009.
Revenons aux fondamentaux: au-delà de toutes les excuses inventées par les financiers et leurs théoriciens ces dernières décennies, une société en pertes ne devrait pas verser de dividendes - sauf exception dûment justifiée. Tant pis pour les actionnaires petits et grands, déjà massacrés par la chute des cours de Bourse. L'action est un produit risqué, dont le rendement a de surcroît été extraordinairement élevé depuis deux décennies. L'idée qu'elle doit avoir un rendement régulier, ou permanent, est aberrante. C'est aux actionnaires de porter le risque, pas aux salariés ou aux contribuables. Faire croire l'inverse, c'est préférer la cupidité au capital comme fondement du système. Et donc passer du capitalisme au «cupiditisme».
Dernière question, pour les prochains mois:la pluie après le beau temps. Une entreprise qui s'apprête à vivre un cru 2009 effroyable après avoir engrangé de beaux bénéfices en 2008 doit-elle verser un dividende sur les profits de l'an dernier, mais qui fera sortir de l'argent cette année? Là encore, la réponse de bon sens est non. Dans une passe difficile, mieux vaut que les entreprises gardent leur argent pour éviter une asphyxie qui coûterait cher aux actionnaires. Là encore, de brillants esprits vont inventer toute une série de raisons abracadabrantes pour justifier de plantureux dividendes, quitte à piller des entreprises déjà très fragilisées. Ce système-là court à sa perte. Il se terminera dans le chaos. Ou par une loi. Ou par les deux.
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