« L’Assemblée vient de commencer l’examen de la réforme de la garde à vue.
Derrière, il y a un débat encore plus sensible : le rôle et le statut du parquet.
Mais tout ne se joue pas au Parlement.
Une réforme peut en cacher une autre. Depuis mardi, l’Assemblée examine la réforme de la garde à vue. Cette dernière est censée tenir compte de la décision du Conseil Constitutionnel qui a déclaré en juillet dernier le régime actuel contraire aux droits fondamentaux . Le projet de loi doit notamment permettre la présence d’un avocat dès le début de la garde à vue et tout au long de celle-ci. Au 1er juillet 2011, le nouveau dispositif devra être mis en place.
Les députés et le gouvernement divergeaient sur deux points. Le premier concerne « l’audition libre ». Le projet du gouvernement prévoyait ce régime dérogatoire permettant d’interroger une personne sans contrainte mais sans limite de temps ni présence d’un avocat. Dans un premier temps, les députés ont supprimé cette mesure en commission. Ne s’avouant pas vaincu, Michel Mercier, ministre de la Justice, a annoncé dans le Figaro que le gouvernement proposera à nouveau le dispositif en séance. Mais François Fillon l’a finalement désavoué en annonçant qu’il s’en tiendrait à l’avis des députés.
Le deuxième est plus fondamental. Le gouvernement prévoit toujours que ce soit le procureur qui puisse prolonger la garde à vue. Les députés, en commission, l’ont désavoué et donné ce rôle au juge des libertés et de la détention. Dans Le Figaro, Michel Mercier est resté sur sa position de départ. C’est un vaste débat juridique qui s'ouvre alors.
Le procureur est-il un juge ?
Pour se justifier, les députés se basent sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui avait pointé le lien entre le parquet français et l’exécutif notamment dans la procédure de nomination. Les procureurs sont en effet nommés par le ministre de la Justice avec un simple avis du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ce lien ne donnerait pas le statut d’« autorité judiciaire » au procureur et qui l’empêcherait donc de contrôler la garde à vue en toute indépendance.
Mais le Conseil Constitutionnel, sur lequel se base le ministre de la Justice, n’est pas du même avis. Or, la Constitution, dans notre droit, est considérée de valeur supérieure aux traités internationaux. Dans sa décision de juillet remettant en cause le régime de la garde à vue, si le Conseil critique l'absence de l’avocat comme atteinte aux droits de la défense, il ne dit rien sur le statut et le rôle du parquet. Pour lui, « l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet » et il « appartient » au procureur de maintenir ou non une personne en garde à vue.
D’ailleurs, l’arrêt de le Cour de Cassation sur le statut du parquet datant de décembre est un peu plus subtil qu’on ne le croît. Il concerne un avocat, Philippe Creissein, qui contestait la prolongation de sa garde à vue par le parquet. Si la Cour, se basant sur l’article 5-3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, avait bien noté que le procureur n’est pas un juge, elle n'a pas remis en cause son droit à prolonger la garde à vue… dans un délai raisonnable. Cet article 5-3 dit en effet que « la personne arrêtée ou détenue (…) doit être aussitôt traduite devant un juge ». C’est le terme « aussitôt » qui est important. Reste à savoir quel laps de temps on met derrière.
Dans l’affaire Creissein, la Cour de Cassation a noté que la garde à vue, ayant duré 25 heures et 5 minutes, a bien « une durée compatible avec l'exigence de brièveté » demandée par la Convention. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme datant de novembre donne un autre point de vue. Dans cette affaire, une autre avocate, France Moulin, contestait son placement en maison d’arrêt par le procureur adjoint de Toulouse après une garde à vue de 24 heures. Elle n’avait pu être entendue par un juge que cinq jours après son arrestation, un délai jugé cette fois trop long pour la Cour européenne. Dans son arrêt, elle rappelle qu'un délai de « quatre jours et six heures » dépassait déjà ses limites.
Procureurs de droit divin
Cherchant à éviter toute difficulté, les députés ont donc confié le contrôle de la garde à vue au juge des libertés. Joint par Marianne2, le sénateur UMP Jean-René Lecerf, auteur d’un rapport sur la réforme de la procédure pénale, est sur la même longueur d’onde. « Je suis convaincu, vu la jurisprudence de la CEDH, qu'il faut que ce soit un juge qui contrôle la garde à vue », explique-t-il. Le statut du parquet étant « disqualifiant » pour celui-ci.
Car les procureurs sont souvent suspectés d'instrumentaliser la justice au profit du pouvoir politique. L’exemple caractéristique est le procureur Courroye, nommé en mars 2007 à Nanterre contre l’avis du CSM. De là, ses enquêtes sur l’affaire Woerth-Bettencourt ont toutes été suspectées de partialité. Pour Jean-René Lecerf, la magistrature « doit présenter toutes les apparences de la justice. A partir du moment où Philippe Courroye était proche du président de la République, des interrogations se posaient ».
Alors que faire ? Le sénateur Lecerf propose que le CSM donne son approbation et non un simple avis sur les nominations des procureurs. Pour lui, « l'évolution du statut du parquet est incontournable sous peine d’avoir un éclatement de la magistrature avec d’un côté les juges du siège et de l’autre, des préfets judiciaires ». Le gouvernement, de son côté, s'oppose à une telle évolution : « Je suis navré d’être en désaccord avec le Premier ministre sur ce point », déplore Jean-René Lecerf. Cependant, il veut maintenir les procureurs comme « instruments de la politique judiciaire » et pouvant donc continuer à recevoir des consignes du ministre de la Justice. « Personne ne réclame l’indépendance totale du parquet », affirme le sénateur.
Volonté générale ou de quelques juges ?
Et sans indépendance totale, le procureur peut-il avoir autant de pouvoirs ? La quasi-totalité des affaires arrivant devant un tribunal ne sont pas passées par un juge d’instruction. Dans son rapport, le sénateur va plus loin et propose de supprimer le poste de juge d’instruction. C'est alors le procureur, désormais nommé avec l'avis conforme du CSM, qui prendra en charge toutes les enquêtes judiciaires sous le contrôle d’un juge des enquêtes et des libertés. Cette réforme avait déjà été annoncée par Nicolas Sarkozy fin 2008… sans changer le mode de nomination du parquet. Controversé, le projet du chef de l’Etat a été repoussé aux calendes grecques.
Un problème plus politique se pose alors. D’un côté, des réformes de l’institution judiciaire sont repoussées face à la contestation des magistrats et des défenseurs des libertés. De l’autre, c’est sous la pression de décisions de justice que le gouvernement doit écrire de nouveaux textes. Comme si la loi n’était plus l’expression de la volonté générale mais de la volonté de quelques juges. « Je regrette que les évolutions de la réforme de la garde à vue se fassent non pas par des actions positives mais après des réactions dues à des décisions de justice », estime d’ailleurs Jean-René Lecerf. A croire que si on sent l'âme d'un réformateur, il ne faut pas devenir député mais magistrat.»
A lire dans son intégralité et son contexte (marianne2.fr/Tefy Andriamanana)
Commentaires