Alors qu’elle doit être adoptée définitivement ce mardi après-midi, la mise en œuvre de la réforme de la garde à vue s’annonce compliquée. D’autant qu’elle pourrait être précipitée par la Cour de cassation vendredi.
La réforme de la garde à vue pourrait bien être celle dont l’application sera la plus rapide depuis bien longtemps. Alors que le Conseil constitutionnel avait donné jusqu’au 1er juillet au gouvernement pour modifier le régime actuel, la Cour de cassation rendra vendredi une décision qui pourrait rendre l’application de la réforme immédiate et générale. L’objectif de cette réforme ? Faire chuter le nombre de gardes à vue de 800 000 à 500 000 par an en la réservant aux personnes soupçonnées “d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement”. Le texte donne la possibilité à l’avocat d’assister à toutes les auditions et même de poser des questions alors que le droit pour la personne gardée à vue “de se taire” est consacré. Des perspectives qui inquiètent les policiers et certains membres de la majorité. Dans une missive datée du 2 avril et adressée au Premier ministre, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant s’est ainsi ému d’un texte “porteur de risques qui n’ont sans doute pas tous été pleinement mesurés” et qui pourrait être source d’“incidents” entre avocats et forces de l’ordre. “Nous n’avons aucune visibilité dans cette espèce d’aberration administrative, lâche ainsi Emmanuel Roux, secrétaire général adjoint du Syndicat national des officiers de police. On va bouleverser la procédure pénale : au mieux, ce sera le grand désordre, au pire le chaos.” L’éventualité de la mise en place de la réforme dès le rendu de la décision de la Cour de cassation fait sourire Patrice Ribeiro, secrétaire national de Synergie Officiers. “Nous pouvons l’appliquer. Mais l’appliquer dans de bonnes conditions, non !”
À l’Assemblée, Jean-Luc Warsmann, député UMP et rapporteur de la commission des lois, s’est pour sa part inquiété du “coût considérable” de cette réforme et du manque de moyens qui y ont été alloués. Quelques 3 600 locaux, pour un coût total de 21,5 millions d’euros, doivent être réaménagés pour permettre l’accueil des avocats tout au long de la procédure, mais “aucun calendrier n’est prévu pour ces travaux”, soulignait-il lors du débat en deuxième lecture à l’Assemblée. Pour l’équipement en visioconférence, il faudra 45,5 millions d’euros de plus. Le déséquilibre de la réforme est aussi mis en cause par les syndicats de policiers. “On introduit l’avocat dès le départ et on donne des droits au délinquant alors que les policiers croulent sous la paperasse qui constitue déjà 80 % d’une garde à vue”, tempête Patrice Ribeiro. Une position à contre-courant du garde des Sceaux Michel Mercier, lequel a salué une réforme qui “préserve tant les droits de la défense que les besoins opérationnels des services d’enquête”.
Si les avocats se satisfont des mesures qui sont prises, plusieurs questions restent en suspens. Au premier rang desquelles l’aide juridictionnelle, dont le budget actuel – 313 millions d’euros en 2011 – ne suffira pas pour assumer cette réforme. Les avocats seront-ils disponibles dans tous les commissariats de police et toutes les brigades de gendarmerie à toutes les heures du jour et de la nuit, même dans les contrées les plus reculées ? “Si on a de nouveaux éléments cinq ou six heures après le premier interrogatoire et qu’on doit le ressortir de la geôle, on ne va pas attendre trois ou quatre heures que l’avocat revienne”, explique Patrice Ribeiro. Thierry Wickers, le président du Conseil national des barreaux, a assuré de son côté que les avocats étaient d’ores et déjà prêts avec des systèmes qui “peuvent varier selon les endroits et la taille des barreaux”. S’ils n’ont pas été entendus par les parlementaires lors de l’examen de la réforme, les syndicats de policiers entendent néanmoins faire “respecter le texte à la virgule près, souligne Patrice Ribeiro. Le système va s’effondrer car le taux d’élucidation va baisser.” Le Premier ministre a déjà chargé les ministres de l’Intérieur et de la Justice d’une “mission d’audit et de suivi” de la réforme.
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Source : Acteurs publics
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