Après de laborieuses discussions, les eurodéputés et les Etats ont fini par accorder leurs violons, sans lever toutes les ambiguïtés sur l'ampleur de la protection conférée à la main-d'oeuvre détachée.
En entamant mi-janvier leurs négociations avec les Etats, les députés européens savaient qu'ils s'aventuraient sur une corde raide. Le 5 mars, les représentants des Etats ont fini par endosser les changements consentis à l'issue des discussions avec les élus de Strasbourg. Cependant l'ambition politique d'une plus grande protection des travailleurs détachés reste suspendue à une kyrielle de détails juridiques, reflet du délicat compromis signé le 9 décembre par les ministres du Travail.
Ainsi, les inspecteurs du travail ou encore l'Urssaf pourront pratiquer des contrôles approfondis, au-delà des éléments basiques habituellement contenus dans la déclaration de détachement (nature de la mission, nom de l'entreprise, etc.), à condition d'informer la Commission européenne de ces examens complémentaires.
Une façon d'alléger la contrainte initiale : l'accord au Conseil prévoyait une "notification" des contrôles, suggérant ainsi qu'ils risquaient d'être soumis à l'aval de Bruxelles. En obtenant cet assouplissement, l'eurodéputée PS Pervenche Berès a atteint l'un de ses "buts de guerre".
Mais ce progrès a été conquis au prix d'un cadre strict, sous pression de la Pologne, réfractaire à des inspections trop lourdes qui décourageraient le recours au détachement. La Commission sera donc chargée de superviser la mise en oeuvre de ces contrôles supplémentaires, en s'assurant qu'ils ne génèrent pas de discrimination ou ne violent pas les principes du grand marché.
Bien évidemment, toute mission de sous-traitance reste soumise à la fourniture d'informations élémentaires permettant de cerner la durée de la mission, le nombre d'ouvriers détachés, le lieu de travail, etc. Or, les députés européens tenaient à ce qu'elles soient transmises à l'administration avant le début du chantier ou du service exécuté par le prestataire, dans le but d'éviter les cas de contournement de date des missions effectuées par les travailleurs détachés.
Des signaux favorables avaient été donnés, avant que la Pologne ne rapplique au dernier moment et inflige, selon les négociateurs, un "coup de Trafalgar".
L'autre pan de la directive, fondé sur la responsabilité juridique d'entreprises du BTP pouvant être traduites en justice si leur sous-traitant direct viole les droits des travailleurs, a littéralement été gravé dans le marbre.
En clair, les députés européens ont eu ordre de ne pas rouvrir la boîte de Pandore des aspects les plus sensibles du texte, une fois l'accord politique scellé entre François Hollande et le Premier ministre polonais fin 2013.
L'ambiguïté du compromis demeure : les Etats doivent permettre aux travailleurs détachés de poursuivre le donneur d'ordres, mais ils peuvent aussi introduire un système alternatif, à travers "d'autres mesures appropriées". Une formulation énigmatique dont le texte ne donne pas les clés.
Au final, pour accroître les droits des travailleurs détachés, les députés européens se sont rabattus sur d'autres aspects de la directive, moins controversés, dans l'espoir de combler certains vides juridiques. Quand un travailleur fait l'objet d'une application frauduleuse de la directive détachement et qu'un litige survient, il doit être placé sous la protection d'un règlement européen, baptisé Rome I, pour ne pas subir des conditions de travail qui lui seraient défavorables. Mais, là aussi, les règles arrêtées "ne sont pas claires", remarque la Confédération européenne des syndicats.
A la demande des partenaires sociaux suédois, des aménagements ont été prévus pour faciliter les négociations entre syndicats et prestataires étrangers sur les conditions de travail de la main-d'oeuvre détachée. Les représentants du personnel pourront, à leur initiative, faire venir un responsable de l'entreprise ayant remporté un contrat, afin d'engager des discussions sur les règles collectives applicables.
Au Parlement européen, certains ne se satisfont pas de l'accord trouvé. Mécontente, l'extrême gauche ne le votera pas. Chez les Verts, l'Allemande Elisabeth Schroedter anticipe des débats en plénière sur la liberté réelle laissée aux autorités chargées de détecter les montages illégaux.
Le compromis final permet "de répondre à l'essentiel de nos exigences", tempère l'écologiste Karima Delli, consciente des lacunes persistantes du champ de la responsabilité conjointe, restreinte au seul BTP, quand l'agroalimentaire ou les transports sont aussi le creuset de fraudes.
En France, cette carence est corrigée par la proposition de loi sur la sous-traitance adoptée par l'Assemblée fin février, qui ne fait pas de différence de traitement entre les secteurs.
Moins ambitieuse, la réforme européenne ne pouvait que produire un résultat mitigé, puisque la Commission avait exclu dès le départ une refonte réelle de la directive, rappelle la socialiste Pervenche Berès. Mais cette étape sur le détachement sera peut-être le catalyseur d'une réflexion plus profonde sur la place des enjeux sociaux dans l'UE. Tout au long des négociations avec les Etats, la priorité donnée au marché intérieur a servi de caution aux gouvernements réfractaires à une protection accrue des travailleurs.
Un changement des traités pourrait être le moyen de corriger ce défaut originel en mettant la préoccupation de l'économie et du social sur un même pied. Pervenche Berès le revendique : "C'est le prix à payer" si l'on s'achemine vers une révision.
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