Pourquoi un projet de loi sur le renseignement ?
Le projet de loi sur le renseignement annoncé par le Président de la République en juillet 2014 et porté par le gouvernement répond à un constat : la France est l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre légal cohérent et complet régissant l’action de ses services de renseignement. Les attentats dont la France a été victime en janvier 2015 ont contribué à accélérer le travail engagé. Toutefois, avant le début des travaux sur ce projet de loi, des dispositifs avaient déjà été mis en place par touches successives à l’instar de la création en 2007 d’une délégation parlementaire au renseignement (DPR), premier organe parlementaire de contrôle et d’évaluation de la politique publique du renseignement, ou encore celle d’une inspection des services de renseignement en 2014.
Le régime juridique actuel du renseignement français est marqué par des lacunes.
Les bases légales relatives à l’action de services de renseignement s’avèrent actuellement lacunaires. En effet, ces derniers ne peuvent recourir pour l’heure qu’à des interceptions de sécurité, à des réquisitions de données techniques et à la consultation de certains fichiers. La loi du 10 juillet 1991 relative aux interceptions de sécurité a vieilli et doit être révisée afin d’intégrer les évolutions technologiques telles que la téléphonie mobile ou l’Internet. De la même manière, les dispositions de la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013 visant à réglementer l’accès administratifs aux données techniques de connexion sont sources de confusion et de complexité pour les services de renseignement en ce qu’elles ont mis en place des circuits d’avis et de décisions différents selon les demandes.
Il existe aujourd’hui un consensus autour de la nécessité de doter les services de renseignement d’un cadre juridique.
Le gouvernement veut désormais parachever le dispositif en légiférant sur certaines techniques de renseignement utilisées sur le territoire national. Cette volonté est également partagée par le Parlement puisque dans son rapport publié en mai 2013 et intitulé « Pour un « Etat secret » au service de notre démocratie », la mission d’information bipartisane des députés JJ. Urvoas et P. Verchere a conclu à la nécessité d’une loi pour légitimer et encadrer l’activité du renseignement en France. Ce besoin avait régulièrement été exprimé par la DPR, notamment dans son dernier rapport de 2014. Outre les pouvoirs exécutifs et législatifs, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) – qui est une autorité administrative indépendante – a elle-même souligné la nécessité de modifier la loi dans son rapport d’activité 2013-2014.
Le consensus autour d’un nouveau dispositif législatif porte sur un double objectif. Il s’agit premièrement de conférer aux services de renseignement des moyens à la hauteur, compte tenu de la menace à laquelle ils doivent faire face, et légitimer leurs modes d’action. Deuxièmement, il convient de garantir la protection des libertés publiques en subordonnant le recours à ces opérations à l’autorité du pouvoir politique qui sera doublement contrôlé par une autorité extérieure indépendante et par le Conseil d’Etat.
Ce projet de loi répond donc à un besoin consensuel et de longue date, qui n’est pas une réponse dans l’urgence aux événements de janvier. Il ne s’agit pas de créer une législation d’exception ou une surveillance généralisée des citoyens mais de mieux protéger les citoyens tout en faisant avancer l’Etat de droit.
Les principales orientations du texte présenté par le gouvernement
1) Un renforcement des moyens d’action des services de renseignement …
La France doit aujourd’hui affronter une menace protéiforme et diffuse en ce qu’elle porte à la fois sur son territoire et sur ses intérêts à l’étranger.
A cet effet, le projet de loi transpose dans le domaine de la prévention des techniques de recueil de renseignements déjà permises dans un cadre judiciaire telles que le balisage de véhicules ou la captation de données informatiques. Il permet également, par un accès encadré aux réseaux des opérateurs de télécommunications, un suivi plus efficace des individus identifiés comme présentant une menace terroriste et la détection en amont de projets terroristes. Un cadre juridique relatif aux mesures de surveillance internationales auxquelles procèdent les services de renseignement français est aussi prévu. Des dispositions visent par ailleurs à mieux protéger l’identité des personnels des services, notamment via l’encadrement de la publicité des actes réglementaires et individuels produits par ceux-ci. Enfin, le projet de loi prévoit la possibilité pour TRACFIN de solliciter des informations auprès des entreprises de transport ou des opérateurs de voyage, et pour l’administration pénitentiaire de mettre en place des mesures de détection, brouillage et interruption de communication en milieu carcéral, ainsi que d’accéder aux données informatiques d’un détenu.
2) …dans le respect des libertés publiques et de la vie privée
Le renforcement des moyens d’action des services de renseignement sera couplé à leur encadrement afin de garantir les libertés publiques et la vie privée, valeurs fondamentales de notre démocratie. Des mesures seront ainsi prévues, visant à une définition limitative des motifs pouvant justifier l’utilisation des techniques autorisées par le projet de loi, et l’obligation de respecter le principe de proportionnalité au regard des risques d’atteinte au respect de la vie privée. Des procédures précises d’autorisation de recours à ces techniques, contenant des motivations, sont prévues et les décisions d’y recourir seront prises par le Premier ministre. Ces autorisations ne seront valables que pour une durée limitée, variable selon le dispositif employé, et ne pourront être reconduites que selon les mêmes modalités que les demandes initiales.
Un des apports essentiels de ce projet de loi réside dans la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), se substituant à la CNIS. Elle sera composée de magistrats, d’une personnalité qualifiée en matière de communications électroniques, et de parlementaires de la majorité et de l’opposition. La CNCTR aura un rôle à jouer au cours des 3 étapes de la mise en œuvre des techniques de renseignement. En amont, elle formulera un avis préalable à l’octroi de l’autorisation d’agir (sauf exceptions) ; pendant la mise en œuvre, elle assurera un contrôle ; enfin a posteriori une fois le recours à la technique terminé.
Des garanties supplémentaires pour les techniques nécessitant une intrusion dans des lieux privés seront de plus assurées. Par exemple, le CNCTR devra rendre un avis exprès préalable (sauf urgence absolue), l’autorisation accordée n’étant valable que 30 jours et le Conseil d’Etat pouvant être saisi par au moins 2 de ses membres en cas de désaccord avec le Gouvernement.
Des durées maximales de conservation des données recueillies grâce aux techniques précisées par la loi sont également prévues, de même qu’un contrôle parlementaire accru au profit de la Délégation parlementaire au renseignement, qui se verra communiquer le rapport annuel de la CNCTR.
Un droit au recours juridictionnel devant le Conseil d’Etat parachève les garanties en matière de libertés fondamentales, en étant ouvert à tout citoyen ayant intérêt à agir, et à la CNCTR lorsque celle-ci estimera qu’une autorisation accordée par le Premier ministre contrevient à la loi.
Rédaction : Guillaume MURE, étudiant à Sciences-Po, stagiaire auprès de Guy Chambefort à l'Assemblée nationale.
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