Les députés doivent se pencher sur une proposition de loi socialiste qui remet sur la table les dispositions de la loi Sapin 2 sur l'accaparement des terres agricoles récemment censurées par le Conseil constitutionnel. L'objectif est de renforcer le contrôle des Safer sur les transactions.
Censurées par le Conseil constitutionnel, les dispositions de la loi Sapin 2 visant à lutter contre l'accaparement des terres agricoles refont surface. A l'initiative des députés PS Dominique Potier et Olivier Faure, la commission des affaires économiques de l'Assemblée doit en effet examiner une proposition de loi ce mercredi 11 janvier, qui reprend ces dispositions en y ajoutant un volet visant à promouvoir les produits dits de "biocontrôle".
Le phénomène de l'accaparement des terres est apparu au grand jour suite au rachat par un fonds chinois, à partir de 2014 et en plusieurs étapes, d'un total de 1.750 hectares de terres céréalières dans l'Indre. La production est aujourd'hui acheminée en Chine. Or l'opération s'est déroulée dans le dos de la Safer (Société d'aménagement foncier agricole) en contournant les règles de régulation. Jusqu'à un décret de 2015 pris en application de la loi d'avenir sur l'agriculture de 2014, les Safer n'étaient en effet informées que des transactions impliquant des exploitants, mais non des ventes de parts de société. C'est justement par le truchement des ventes de parts que cette transaction a eu lieu. Par ailleurs, même si elle l'avait voulu, la Safer n'aurait pas pu exercer son droit de préemption. Ce dernier a été étendu par la loi de 2014 aux ventes totales de parts de société mais non aux ventes partielles. L'astuce trouvée par le fonds consistait à racheter 98% des parts de sociétés d'exploitation, les 2% restants étant conservés par les anciens propriétaires.
En pleine affaire des Mille vaches, la loi d'avenir de 2014 a donc cherché à améliorer l'information des Safer et à renforcer leur droit de préemption. Mais la Fédération nationale des Safer (FNSafer) avait aussitôt souligné les imperfections du dispositif, d'ailleurs en retrait par rapport à une proposition de loi socialiste de 2013. Qu'allait-il advenir en cas de cessions partielles, même à 98% comme dans le cas de l'Indre ? "A côté de ces mesures positives, force est de constater que des brèches restent béantes !", constatent Dominique Potier et Olivier Faure. Pour remédier à ces carences, la loi Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique de décembre 2016 avait pris une série de dispositions. Seulement le Conseil constitutionnel les a jugées trop éloignées de l'objet initial de cette loi censée lutter contre la corruption ("cavalier législatif").
C'est pourquoi les députés socialistes reviennent à la charge et veulent corriger les "angles morts".
→ Tout d'abord, pour acquérir du foncier agricole, la société devra avoir pour objet principal la propriété agricole. Ce qui dans l'exemple de l'Indre n'était pas le cas. Le fonds en question était spécialisé dans les détergents, l'hôtellerie, même s'il possédait également une exploitation laitière en Mongolie intérieure.
→ Par ailleurs, les Safer pourront acquérir, à l'amiable, la totalité des parts de groupements fonciers agricoles ou ruraux au-delà donc de la limite actuelle de 30% du capital de ces sociétés agricoles.
→ Enfin et surtout, elles pourront exercer leur droit de préemption sur les cessions partielles. "Cette extension du droit de préemption est limitée aux cas où il s'agit d'installer des agriculteurs, de maintenir des exploitations agricoles ou de les consolider", précisent les députés dans l'exposé des motifs de leur texte. Ils demandent aussi que la prise de participation dans une société soit supérieure à cinq ans, pour s'assurer qu'il s'agit bien d'un engagement de long terme et non d'un "montage juridique aux finalités spéculatives".
La proposition vise aussi à faciliter aux collectivités qui le souhaitent la possibilité de concéder leurs terres agricoles acquises pour constituer des réserves foncières : le préavis prévu pour mettre fin à ces concessions temporaires pourra être ramené d'un an, comme prévu aujourd'hui dans le Code de l'urbanisme, à "trois mois avant la levée de récolte" ou "trois mois avant la fin de l'année culturale".
Pour financer les charges supplémentaires qui pourraient résulter de ces dispositions, la proposition de loi propose d'instaurer une taxe additionnelle sur la taxe sur les activités commerciales (Tascom) répondant ainsi "à un même souci de lutte contre l'artificialisation des terres, du fait notamment du développement de grandes surfaces commerciales au détriment des surfaces agricoles".
Avec ces mesures, les Safer pourront désormais interférer si elles jugent les transactions contraires à des enjeux tels que la souveraineté alimentaire, sachant que l'Europe est déjà déficitaire nette de 20% de sa surface agricole totale.
Les députés sont cependant conscients des limites de ces dispositions "face au phénomène mondial de l'accaparement des terres" qui, selon eux, rendra "indispensable d'élaborer dans la prochaine législature une grande loi foncière", comme l'ont récemment réclamée la FNSafer et plusieurs syndicats agricoles.
Ils lancent aussi le débat sur l'avenir de l'agriculture et le changement de pratiques à travers le développement de l'agro-écologie promue durant le quinquennat par le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll. A ce titre, leur proposition de loi, dans un second titre, cherche à sécuriser juridiquement et à faciliter l'usage des produits de biocontrôle reconnus dans la loi du 13 octobre 2014 comme des produits naturels alternatifs aux produits phytosanitaires. Elle les dispense d'agrément (à l'exception de ceux soumis à une obligation d'étiquetage compte tenu de leur dangerosité) et exempte de l'obligation de Certiphyto (un certificat nécessaire pour la manipulation de pesticides) les salariés temporaires qui interviennent sur les exploitations agricoles. "Parce qu'elle donne des perspectives et pose une vision de long terme pour l'agriculture, l'agro-écologie protège les agriculteurs en les rendant moins vulnérables aux aléas économiques, climatiques et sanitaires", arguent les deux députés.
Commentaires