Article de Jean-Marc Vittori, « les Echos.fr »
Jamais métal n'aura été aussi battu.
Demain, les syndicats, le patronat et le président de la République vont en effet à nouveau battre le fer du partage des revenus tant qu'il est chaud.
Un fer chauffé à blanc par toute une série d'événements : une crise qui frappe à la fois les plus pauvres et les plus riches, des bonus pharaoniques versés dans des banques en faillite, des inégalités de plus en plus criantes et les inévitables propos de Nicolas Sarkozy sur toutes ces questions.
Le président l'a répété: il entend promouvoir la règle des trois tiers. Les profits des entreprises devraient être également répartis entre les actionnaires (sous forme de dividendes), les salariés (participation et intéressement) et l'entreprise elle-même (investissement).
Or, jusqu'à présent, la France préfère les deux tiers...
... Ainsi, les deux tiers des richesses produites dans l'entreprise vont aux salariés. Un constat à compléter aussitôt de deux précisions: ce partage est stable en France depuis plus de vingt ans, à l'inverse des autres pays développés où le poids des salaires a diminué.
Et les Français ne sentent pas cette stabilité dans leur portefeuille, car de plus en plus d'argent versé « aux salariés » file en réalité dans les caisses des assurances-maladie et retraite.
La même clef de répartition est à l'œuvre dans le partage du tiers restant, celui que le président veut à nouveau diviser en trois.
En 2007, l'investissement des entreprises en constitue les deux tiers (dans leur jargon, les comptables nationaux parlent du ratio formation brute de capital fixe sur excédent brut d'exploitation dans les sociétés non financières).
Les dividendes font aussi les deux tiers... mais il s'agit là du montant brut versé par les entreprises. Comme elles se versent aussi beaucoup de dividendes les unes aux autres, il faut regarder le montant net : là, il ne fait plus qu'un demi-tiers.
Reste donc un autre demi-tiers qui comprend, notamment, l'intéressement et la participation. Les chiffres 2007 ne sont pas encore connus. En 2006, cette part versée aux salariés atteignait à peine 14 milliards d'euros, même pas le tiers du demi-tiers restant!
Deux tiers à l'entreprise, un sixième à ses actionnaires, un dix-huitième à ses salariés: voilà grosso modo comment se partagent aujourd'hui les profits. Est-il vraiment urgent de changer cette répartition? A vrai dire, ce débat a quelque chose d'étrange. D'abord parce que ce n'est pas la priorité du moment. Beaucoup d'entreprises luttent pour leur survie, jusqu'aux plus grandes. Les profits vont diminuer partout. Débattre du partage des profits dans le climat économique actuel, c'est comme parler maillots de bain dans une tempête de neige.
Ensuite, le profit n'est pas le lieu du partage, mais celui du risque. Or les salariés risquent déjà de perdre leur emploi. Ce n'est pas le moment d'ajouter une couche d'incertitude, de promettre une part croissante d'un profit qui rabougrit. Si jamais il faut agir, c'est en amont. Là où les salariés touchent les deux tiers, il faut peut-être rajouter un tiers du tiers restant, c'est-à-dire passer aux sept neuvièmes. La proposition irait à contresens de ce qui se passe ailleurs. Mais après tout, nous vivons dans l'époque des contresens.
Enfin, c'est une drôle d'idée que de vouloir débattre du partage des profits à l'Elysée. Le pouvoir politique peut bien sûr faire voter des lois, augmenter l'impôt, donner des conseils, montrer l'exemple avec les entreprises contrôlées par l'Etat (même s'il fait aujourd'hui l'inverse en cherchant à accroître ses dividendes). Mais c'est aux entreprises d'organiser le partage des richesses produites en leur sein. Certaines peuvent appliquer sereinement la règle des trois tiers, comme Dassault, qui a notamment su se forger une enviable situation de monopole sur les avions militaires vendus à l'Etat. D'autres firmes ont d'autres logiques et ne peuvent donc pas forcément appliquer la même règle. Nicolas Sarkozy l'a d'ailleurs reconnu. Cette histoire de partage des profits est donc une manière de contourner le débat sur le partage des richesses. Ou une tentative originale d'enseigner les fractions aux Français qui y sont réfractaires. Comme aurait dit le précédent président, ça risque de faire pschitt.
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