Promulgué la semaine dernière par décret, l'amendement Le Fur pourrait aux dires de ses (nombreux) opposants accroître la pollution des eaux et des sols. En particulier on pourrait aussi voir se renforcer la présence des algues vertes sur les plages bretonnes.
À l’origine d’une vive polémique en milieu d’année dernière, l’amendement Le Fur a ensuite fait l’objet d’un lifting partiel avant d’être adopté par l’Assemblée nationale. Les modifications n’avaient pas dissipé la colère des écologistes, qui réclamaient sa suppression pure et simple et ont appris la semaine dernière sa promulgation par décret…
Les Français qui en ont entendu parler l’avaient sans doute complètement zappé. Il fit pourtant couler beaucoup d’encre fin juin. Qualifié de « provocation » par le Parti breton, vivement critiqué par le président socialiste du Conseil régional de Bretagne Jean-Yves Le Drian qui voyait en lui une trahison, cet amendement du député de la majorité Marc Le Fur figurant dans le cadre de la loi sur la modernisation agricole aurait il est vrai pu avoir des conséquences écologiques négatives dans une région qui a déjà maille à partir depuis des années avec les algues vertes, odieuse marée dont l’origine et les résurgences ont unanimement été imputées à l’agriculture intensive… et qui a fait l’objet d’un plan de lutte gouvernemental en février 2010.
Justifié par son auteur par la nécessité d’aligner la législation française sur les standards européens, le relèvement du seuil d’autorisation ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement) qu’il impliquait originellement dans les porcheries et les poulaillers – respectivement de quatre cent cinquante à deux cents places et de trente mille à quarante mille places – aurait pu s’avérer désastreux pour les nappes phréatiques. Il signifiait en effet davantage d’exemptions à l’étude d’impact écologique, la suppression de toute enquête publique et de l’avis des conseils municipaux et l’exonération des agriculteurs à un examen de leur projet par les comités départementaux. Des dispositions spectaculaires que d’aucuns pouvaient trouver de nature à faciliter la vie des éleveurs mais qui étaient aux dires des défenseurs de l’environnement incompatibles avec le droit européen.
Ces derniers ont partiellement obtenu gain de cause au début de l’été, soutenus entre autres par… Patrick Ollier, peu réputé pour sa sensibilité écologique, qui n’était pas encore le ministre chargé des Relations avec le Parlement et aux yeux duquel l’amendement pouvait remettre en cause la capacité du gouvernement à respecter « son » Grenelle. Le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire, lui, n’était pas favorable à un alignement sur le régime de nos voisins d’outre-Rhin – les différences de production en France et en Allemagne étaient l’autre grand argument de M. Le Fur et de ses partisans – , estimant qu’il revenait à « nier la réalité des eaux et des sols » dans le pays et était susceptible de raviver les tensions avec Bruxelles au sujet des nitrates.
Après deux heures de discussions tendues, les députés ont cependant voté un amendement dit « de compromis » supprimant l’enquête publique dans le cadre de regroupements ou de modernisations d’élevages existants « dès lors qu’ils ne s’accompagnent pas d’augmentations sensibles » ou d’ « effets notables » - formulation très évasive, on en conviendra – et réduisant les délais d’instruction des autorisations de seize mois à un an.
« On ne peut pas travailler sur un plan de prévention des algues vertes et en même temps accorder des autorisations systématiques pour les bâtiments d’élevage »
Celui-ci est officiellement devenu le décret 2011-63 mardi dernier, au grand dam de certains élus locaux dont la maire d’Hillion (Côtes-d’Armor) Yvette Doré (Divers grauche), laquelle a rappelé l’excès d’azote dans les sols et son attachement à l’enquête publique, qui « sert à débattre » et à « informer les citoyens ». « Si on dispense les agriculteurs d’enquête publique, les projets passeront confidentiellement », a également déclaré l’édile, pour qui « on ne peut pas travailler sur un plan de prévention des algues vertes et en même temps accorder des autorisations systématiques pour les bâtiments d’élevage ».
Vice-président socialiste de la Région Bretagne en charge de l’Environnement, Thierry Burlot ne dit pas autre chose : « penser régler la crise que vivent les éleveurs par cette supercherie environnementale est dramatique et irresponsable ».
Il va cependant falloir s’y faire : les pressions exercées depuis plusieurs années par les agriculteurs, en particulier les porchers victimes de la forte concurrence de leurs condisciples allemands, ont au bout du compte débouché sur l’assouplissement administratif escompté. Assimilées par les éleveurs à un véritable barnum, les procédures seront bien allégées, ce qui pourrait relancer le contentieux précité sur les nitrates.
« Ce décret marque un nouveau recul dans la prévention des pollutions et nuisances causées par l’industrialisation et la concentration des élevages hors sol », a pour sa part estimé l’association Eaux et rivières de Bretagne, qui a également noté sa signature « contre l’avis du Conseil Supérieur de la Prévention des Risques Technologies » et a regretté qu’il ne soit pas « soumis à l’avis du conseil scientifique du plan de lutte contre les marées vertes ». « On pourra doubler le cheptel existant [...] sans que les riverains et les conseils municipaux n’aient leur avis à donner [...] Plus grave encore, le projet n’écarte pas la possibilité de procéder à la restructuration ou au regroupement d’élevages dans les zones déjà saturées », a résumé l’association, qui n’est assurément pas la seule à redouter une aggravation de « toutes les pollutions de l’eau, des sols et de l’air » et à déplorer que les élus et les citoyens ne soient plus consultés sur l’aménagement de leur territoire.
« Dans le cas des regroupements, pour l’ensemble des installations, l’augmentation globale des animaux ne doit pas dépasser 5 %. En outre, pour l’installation de regroupement, l’effectif final doit être inférieur à deux fois l’effectif initial et l’augmentation de l’effectif doit rester inférieure à deux fois le seuil de l’autorisation, soit par exemple deux cents vaches laitières ou neuf cents porcs », tempère le décret, dont l’entrée en vigueur est immédiate. « De plus, pour les porcs et les volailles, le regroupement ne doit pas entraîner le dépassement des seuils européens, fixés à deux mille porcs charcutiers, sept cent cinquante truies ou quarante mille volailles ». Une limitation qui ne saurait consoler les écologistes et vise surtout à s’éviter les foudres de Bruxelles. Plutôt bien joué du point de vue politique. On a davantage de doutes sur le plan environnemental.
A lire dans son contexte et son intégralité (zegreenweb.com/guillaume duhamel)
Commentaires