La crise économique favorise l'augmentation du racisme et de la xénophobie, estime dans un rapport, jeudi 3 mai, l'organe de lutte contre le racisme du Conseil de l'Europe, qui appelle les Etats européens à "agir" contre la banalisation du discours hostile aux immigrés. "La réduction des prestations sociales, la diminution des offres d'emploi et l'augmentation conséquente de l'intolérance à l'égard des groupes d'immigrés et des minorités historiques" sont les "tendances inquiétantes" constatées par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) dans son rapport annuel 2011.
Elle invite les gouvernements "à renforcer la capacité des instances nationales de défense des droits de l'homme, au lieu d'utiliser la crise économique comme motif de réduction de leurs ressources". Elle appelle également les responsables politiques à "résister à la tentation de céder aux préjugés et aux peurs déplacées".
En raison de la crise économique, les immigrés, demandeurs d'asile et membres des minorités, comme les Roms, "sombrent dans la pauvreté, ce qui alimente des sentiments négatifs qui renforcent la fracture sociale" et ces groupes "sont considérés comme un fardeau pour la société", expliquent les auteurs du rapport, qui se fonde sur une vingtaine de pays visités.
L'extrême droite est en passe de réussir une incroyable mystification idéologique. Le Front national fait de l'immigration son obsession ; son poids électoral augmente régulièrement, jusqu'à atteindre près d'un électeur sur cinq ce qui laisse une gauche un peu désemparée, et une droite utilisant les mêmes arguments.
Et si tout cela n'était qu'un malentendu ? L'Histoire nous appelle à la prudence.
Gary King (université d'Harvard) et ses collègues ont analysé les élections qui se sont tenues en Allemagne entre 1924 et 1933 dans un article ("Ordinary Economic Voting Behavior in the Extraordinary Election of Adolf Hitler", Journal of Economic History, 2008). Ils ont montré que le parti nazi n'avait pas suscité le même degré d'adhésion au sein de tous les groupes sociaux.
Les travailleurs pauvres indépendants (artisans, petits commerçants), dont le statut était menacé par la crise, ont massivement soutenu le parti nazi.
En revanche, les chômeurs, tout aussi durement frappés par la crise, mais qui n'avaient plus rien à perdre, se sont largement tournés vers l'extrême gauche. Il se pourrait donc que l'adhésion à l'extrême droite soit motivée par la peur de perdre un statut fragilisé.
Des chercheurs ont établi que, toutes choses égales par ailleurs, un habitant d'Allemagne de l'Ouest avait 48 % de chances de plus de s'identifier à un parti d'extrême droite lorsqu'il se disait très préoccupé par le risque de perdre son emploi. Il est intéressant de noter au passage qu'ils n'observent aucun effet sur la probabilité de s'identifier à un parti d'extrême gauche.
Ces éléments fournissent une grille de lecture alternative du vote d'extrême droite. En effet, la menace de perdre son statut est d'autant plus grande que l'on risque de tomber bas dans l'échelle sociale. A cet égard, la montée du Front national est à rapporter à la dégradation de la situation des catégories de la population les plus fragiles depuis dix ans.
Ainsi, par exemple, la proportion de personnes disposant de moins de 40 % du revenu médian a augmenté de 85 % entre 2002 et 2010, en France selon Eurostat, passant de 2 % à 3,7 %. Dans le même temps, le taux de pauvreté des personnes seules avec enfants à charge est passé de 29 % à 35,7 %. Le filet de protection sociale ne parvient donc plus à remplir son rôle. A cela s'ajoute la stigmatisation des bénéficiaires de la solidarité nationale, rendant le déclassement social d'autant plus douloureux.
Cela doit mener à une réévaluation de la politique de lutte contre la pauvreté. Depuis une quinzaine d'années, cette dernière a été inspirée par les dispositifs mis en œuvre aux Etats-Unis. Il s'agit de mettre en place des mécanismes destinés à inciter les pauvres, supposés manquer de motivation, à travailler davantage. Ces dispositifs sont complétés par des allocations spécifiques relativement généreuses à l'égard de groupes spécifiques, notamment les personnes âgées et les handicapés.
Yonatan Ben-Shalom (Mathematica Policy Research/National Bureau of Economic Research, NBER) et ses collègues ont dressé un bilan de cette démarche ("An Assessment of the Effectiveness of Anti-Poverty Programs in the United States", NBER Working Paper, 2011). Il en ressort deux enseignements.
D'une part, les modifications de comportements induites par ces dispositifs n'ont qu'un effet marginal sur la pauvreté. Il ne s'agit donc pas là d'un levier efficace.
D'autre part, la concentration des ressources sur les dispositifs incitatifs a bénéficié aux personnes qui étaient les plus proches du seuil où l'on sort de la pauvreté, au détriment de celles qui en étaient le plus éloignées. Il en est résulté une aggravation de la grande pauvreté. Seules les catégories bénéficiant de transferts ciblés ont échappé à cette évolution.
Il s'agit donc d'un renoncement radical au caractère universel de la solidarité. Ces résultats sont conformes à ceux dont on dispose pour le RSA, et sont probablement valables, dans leur ensemble, pour la France.
Faire reculer la grande pauvreté et rendre aux plus démunis la reconnaissance sociale dont ils n'auraient jamais dû être privés constitue le moyen le plus efficace d'enrayer la progression de l'extrême droite.
Cela ne sera possible qu'à la condition de tourner le dos à la stratégie adoptée depuis quinze ans, et dont le RSA est l'avatar le plus récent.
L'objectif doit être d'aider les pauvres, et non de les inciter à travailler : la lutte contre le chômage relève, elle, d'une autre logique, et requiert d'autres instruments. Cela passe, nécessairement, par une revalorisation significative des minima sociaux. C'est un impératif moral et un devoir démocratique.
En parallèle, le discours xénophobe "s'est généralisé ces dix dernières années, étant de plus en plus accepté par la société", affirme l'ECRI. Elle évoque "le ton du débat politique" dans certains pays où "l'immigration rime avec l'insécurité, les migrants en situation irrégulière, les demandeurs d'asile et les réfugiés 'volent les emplois' ou risquent 'de faire chavirer notre système de protection sociale' tandis que les musulmans 'sont incapables de s'intégrer dans les sociétés occidentales'".
Selon le rapport, certains pays européens n'ont pas réussi à gérer l'afflux de migrants et de demandeurs d'asile après les "révolutions arabes" de 2011, et ceux-ci ont été "trop rapidement reconduits à la frontière ou accueillis dans de mauvaises conditions".
La "culture policière qui semble avoir prévalu face à cet afflux" a détérioré les relations entre les Etats de l'espace Schengen, et les discussions sur la réintroduction de contrôles aux frontières "ont encore alimenté le débat xénophobe", souligne l'ECRI.
Source : Le Monde
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