Les perspectives d'une conclusion rapide du traité de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne (Tafta ou TTIP), comme le souhaitait François Hollande lui-même il y a deux ans, s'éloignent un peu plus et en dépit de la visite du président américain Barack Obama, venu défendre aux côtés de la chancelière Angela Merkel les bienfaits de ce traité… Mais Paris se montre de plus en plus réservée. Lors de l'émission Dialogues citoyens du 14 avril, François Hollande a déclaré qu'il n'y aurait pas de traité sans réciprocité ni transparence, notamment sur la question de l'agriculture et les marchés publics. C'est aussi le message que porte depuis quelques mois le secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur Matthias Fekl. Aujourd'hui, ce dernier hausse le ton. "Vous prenez l'ensemble des sujets, aujourd'hui aucun intérêt n'est pris en compte de la manière que nous souhaitons", a-t-il déclaré sur France Inter dimanche.
De plus en plus, les chefs d'Etat et de gouvernement européens ont la pression de la rue et des collectivités. Selon le collectif "Stop Tafta", "plus de trois millions de citoyennes et de citoyens à travers l'Europe ont signé l'Initiative citoyenne européenne auto-organisée contre le Tafta et les traités semblables". Et "plus de 1.500 municipalités, villes, arrondissements et régions d'Europe ont d'ores et déjà adopté des résolutions soulignant leurs inquiétudes à l'égard du Partenariat transatlantique", indique, dans un communiqué du 25 avril, ce collectif d'associations et d'ONG créé en 2013 au démarrage des négociations.
Récemment, le Sénat est lui-aussi monté au créneau avec une résolution demandant plus de garanties en matière agricole et de protection des indications géographiques protégées.
Mais le mouvement dépasse largement le cadre national. Une quarantaine de collectivités venues de toute l'Europe ont ainsi signé une déclaration commune à l'issue de la première rencontre paneuropéenne sur les "autorités locales et les traités de libre-échange de nouvelle génération", organisée à l'invitation de la mairie de Barcelone les 21 et 22 avril. Une déclaration qui vise aussi bien le Tafta que les moins connus Ceta (traité de libre-échange entre l'UE et le Canada), non encore ratifié, et Tisa (traité de libéralisation des services financiers). "Nous sommes profondément inquiets que ces traités mettent à mal notre capacité à légiférer et à utiliser les fonds publics (y compris les sommes consacrées aux marchés publics), ce qui sera gravement préjudiciable à notre mission d'assistance dans des domaines élémentaires comme le logement, la santé, l'environnement, les services sociaux, l'éducation, l'économie et le développement local ou la sécurité alimentaire", peut-on y lire. Les signataires demandent que les négociations sur le TTIP et le Tisa soient "suspendues" et qu'un nouveau mandat soit renégocié" pour prendre en compte les exigences des collectivités qui jusqu'ici n'ont pas eu leur mot à dire. Parmi les participants de cette première rencontre, on trouve notamment, côté français Grenoble ou Nangis (petite commune de Seine-et-Marne). Mais aussi Bruxelles, Vienne, Birmingham, Madrid ou l'île grecque de Corfou. La déclaration, en cours de validation par les différents conseils municipaux, avec la liste des signataires sera prochainement diffusée sur le site de la mairie de Barcelone. De nombreuses autres collectivités ayant adopté des motions pour se déclarer "zone hors Tafta" devraient leur emboîter le pas.
Pour le collectif Stop TTIP, au-delà du manque de transparence et de débat démocratique qui entoure cette négociation, plusieurs sujets préoccupent les collectivités : la remise en cause de leurs politiques de marchés publics, "souvent conçues pour soutenir les PME et l'économie locale", le blocage de toute évolution législative qui permettrait aux collectivités de mener des politiques d'achat local (notamment dans la restauration collective) ou encore l'interdiction de la fracturation hydraulique… Sans parler des indications géographiques, qui n'existent pas dans le système américain ou du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (qui permettrait à une société privée s'estimant lésée par une norme sociale, sanitaire ou environnementale de poursuivre un Etat ou une collectivité devant une juridiction supranationale). Conséquence directe : alors qu'une directive de 2014 permet d'inclure les normes sociales et environnementales dans les marchés pour contrebalancer les notes financières, elle risque de passer à la trappe.
Au niveau européen, les collectivités françaises sont en pointe dans ce combat. Plus de 650 ont adopté une motion à ce jour. Ce qui tient aussi au nombre important de communes en France. Il y a cependant dans le lot de nombreux départements, de gauche comme de droite, et des régions. Parmi les nouvelles grandes régions, Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon est la première à avoir pris position, dans une motion du 15 avril. "Certaines politiques mises en place par notre région seraient de facto mises en danger : quid des critères environnementaux et sociaux et environnementaux dans notre commande publique ? Quel avenir pour une agriculture bio, des circuits courts de proximité (sic) ?", y souligne-t-elle.
La prise de position de la France pourrait être accueillie avec soulagement. Mais attention au "jeu de double discours", met en garde Denis Aguiton, chargé de mission à l'Aitec (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs), l'association qui coordonne la campagne Stop Tafta en France. "Les seules raisons qui amènent la France à menacer de ne pas signer sont d'intérêt offensif : il s'agit d'ouvrir l'accès aux marchés publics américains. Or, il y a toute une série d'enjeux qui pèsent sur la France", insiste-t-il.
Après cette première dans la capitale catalane, la ville de Grenoble s'est portée candidate pour accueillir les deuxièmes rencontres paneuropéennes sur les autorités locales et les traités de libre-échange.
source : localtis
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