Mardi 6 juillet à l’Assemblée Nationale…
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Chambefort.
M. Guy Chambefort. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de la défense, madame la rapporteure, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi sur l’élimination des armes à sous munitions est un moment important des travaux de notre assemblée. En effet, il nous est donné, tous ensemble, la possibilité d’œuvrer en faveur d’une humanité plus juste, et de hisser au plus haut les valeurs universelles de notre République.
La guerre est un phénomène constant dans l’histoire de nos sociétés. Si elle a perdu de sa légitimité au cours du vingtième siècle, il y a moins de cent ans, elle était encore considérée comme légitime. Néanmoins, les hommes ont toujours eu conscience de la nécessité de contenir cette violence. S’il est évident que le principal objectif de la communauté internationale doit être de tenter de prévenir l’éclatement de conflits et de les condamner, quand elle ne parvient pas à régler pacifiquement les différends et qu’un conflit éclate, il faut faire en sorte de réglementer « le droit dans la guerre ». D’autant qu’il faut rappeler que les principales victimes des conflits sont les populations civiles.
M. François Rochebloine. C’est vrai !
M. Guy Chambefort. C’est pour tenter de remédier à cette injustice que nous examinons aujourd’hui ce texte, qui s’inscrit dans la même lignée que la loi de 1997 sur l’élimination des armes antipersonnel, adaptant la convention d’Ottawa. Son adoption apportera une pierre nouvelle à l’édifice juridique devant permettre de prémunir les civils des souffrances de la guerre. Nous devons nous féliciter de cette avancée. Sur quel que banc que nous siégions dans cet hémicycle, nous nous apprêtons à défendrons les principes visant à interdire ces armes perfides que sont les bombes à sous munitions.
Je ne veux pas parler ici des questions entourant l’existence même des conflits, mais des règles qui tentent de discipliner les hommes dans leurs actes guerriers. Je fais bien sûr référence au droit international humanitaire. Lorsqu’on évoque ce droit, on pense en premier lieu à la bataille de Solférino et à la décision d’Henri Dunant de créer la Croix-Rouge pour porter assistance aux blessés des champs de bataille. Mais l’enjeu contemporain est au premier chef la protection des principales victimes des conflits : les civils, qui représentent 90 % des blessés ou des tués.
Des règles existent pour protéger ces populations, leurs origines sont très anciennes. Les premières traces de l’élaboration d’un droit dans la guerre sont présentes dans l’antiquité. Deux siècles avant notre ère, en Inde, les lois de Manou interdisaient déjà l’utilisation des armes « perfides », et préconisaient une distinction entre les objectifs civils et militaires. Malgré cela, des siècles plus tard, nos civilisations tentent toujours de rendre la guerre moins inhumaine. Pour preuve, nous pouvons évoquer la Guerre de Cent ans. À cette occasion, comme le montre Fernand Braudel dans L’identité de la France, quinze siècles après les lois de Manou, la population française a été divisée par deux à l’issue d’un conflit qui a ramené le royaume à sa démographie du IXe siècle. La démonstration est claire, ce sont les populations civiles qui payent le plus lourd tribut des combats.
Aujourd’hui, les bombes à sous munitions contribuent aussi aux dommages indirects qui peuvent miner la reconstruction et le développement d’une région. Elles retardent le retour à la paix. En ratifiant la convention d’Oslo, les signataires affichent d’abord leur désir de protéger les populations civiles des atrocités de la guerre. Selon l’organisation non gouvernementale Handicap international, 98 % des victimes des bombes à sous munitions sont des civils, et 27 à 47 % d’entre elles sont des enfants. Suivant l’état des munitions utilisées, 5 à 40 % n’explosent pas à l’impact, se transformant, de fait, en mines antipersonnel. Ces armes ne font donc pas de différence entre les combattants et les populations civiles. Elles ont un caractère « non-discrimination ». Chaque jour, en Irak, au Liban, au Kosovo ou bien en Afghanistan, dans les pays dont les sols sont contaminés, des civils risquent leur vie. 60 % des accidents liés aux bombes à sous munitions ont lieu lors des activités liées à la subsistance des populations. Les gestes du quotidien les mettent en danger car chaque pas peut s’avérer mortel. Lors de la guerre qui a opposé Israël et le Hezbollah, en 2006, dans le Sud Liban, l’ONU a estimé qu’un million de bombes avaient été larguées sur cette région.
M. François Rochebloine. Eh oui !
M. Guy Chambefort. Environ 40 % n’auraient pas explosé à l’impact.
Outre les dangers physiques que ces armes représentent pour les civils, la pollution des sols retarde également le retour à l’économie de paix. Les travaux de reconstruction sont plus périlleux, de même que l’exploitation des surfaces agricoles. Or, c’est lorsqu’un conflit touche durablement les populations civiles qu’il se fait le plus violent. En s’appliquant à lui-même l’interdiction de ces armes, notre pays affirme que ces bombes sont à la fois moralement inacceptables mais également illicites.
J’appelle votre attention sur ce qui, selon moi, constitue le véritable enjeu de ce projet de loi. Nous devons nous féliciter de l’engagement de la France dans la lutte contre les bombes à sous-munitions qui se concrétise aujourd’hui. Cependant, comme vous le savez, la portée générale de ce texte est moins certaine. En effet, la convention d’Oslo n’est malheureusement pas d’application universelle.
Malgré les appels de multiples associations, de nombreux États, et non des moindres, refusent toujours de prendre part à ce texte. Par la ratification de cette convention internationale, la France adopte volontairement une loi contraignante à son propre égard. Nous pouvons être fiers de notre bonne volonté, mais cet engagement ne prendra vraiment de sens que dans la mesure où nous parviendrons à faire admettre aux États réfractaires que leur position n’est pas tenable.
Nous avons évoqué lors de nos travaux en commission la question de l’interopérabilité. En effet, que doivent faire les pays signataires impliqués dans une intervention multinationale où d’autres forces non parties à la convention pourraient employer des armes à sous munitions ? Le texte international prévoit que « chaque État partie encourage les États non parties à la présente convention à la ratifier, l’accepter, l’approuver ou y adhérer, dans le but de susciter la participation de tous les États à la présente convention ». Ce travail doit se faire dès à présent, avant même que la question de la participation à une opération aux côtés d’un État non signataire se pose.
Monsieur le ministre, pouvez-nous nous éclairer sur les actions que vous entreprendrez pour faire évoluer la position des pays refusant toujours de prendre part à la convention ? Quant à eux, les parlementaires resteront vigilants quant à la progression des ratifications. Parce que votre projet de loi est porteur d’espoir, les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche le voteront. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC ainsi que sur les bancs des groupes UMP et NC.)