Moqué et stigmatisé en France, le discours de Ségolène Royal à Dakar demandant le pardon est salué en Afrique.
Qu'elle séjourne à Dakar ou aux Antilles, Ségolène Royal ne laisse pas indifférent. Le 6 avril dès le premier jour de sa visite dans le pays où elle a vu le jour il y a 55 ans la dirigeante socialiste a demandé «pardon à l'Afrique pour les propos prononcés par le président français lors d'une visite à Dakar en juillet 2007.»
«Pardon, pardon, pour ces paroles humiliantes et qui n'auraient jamais dû être prononcées -et je vous le dis en confidence - qui n'engagent ni la France, ni les Français» a-t-elle déclaré au siège du parti socialiste sénégalais.
En 2007, Nicolas Sarkozy avait notamment déclaré que «l'homme africain n'était pas suffisamment entré dans l'histoire». Des propos qui avaient provoqué un tollé sur le continent noir, notamment parmi les intellectuels.
Ségolène Royal ne s'est pas contentée de revenir sur ce discours très contesté. Elle a aussi déclaré : «La France républicaine mérite que cesse ce qu'on appelle la «Françafrique» et l'opacité des décisions prises dans le secret de quelques bureaux pour quelques intérêts particuliers» a-t-elle déclaré avant d'ajouter : «Nous ne pouvons, nous Français, ni soutenir les dictatures, ni abandonner les démocrates».
Aussitôt la nouvelle sortie de Royal a provoqué des réactions virulentes dans le camp présidentiel. Alain Joyandet, le secrétaire d'Etat à la coopération a répliqué : «Les déclarations de Madame Royal tenues à l'étranger sont choquantes, irresponsables et antidémocratiques. Elles sont tournées vers le passé».
Pour sa part Frédéric Lefebvre, le porte parole de l'UMP, affirme que de «la Chine à Dakar, en passant par Washington, Mme Royal ridiculise notre pays, par son attitude et ses sorties iconoclastes».
Pourtant vu d'Afrique, ce discours ne fait pas figure de nouvelle gaffe. Bien au contraire, il séduit et traduit selon nombre d'observateurs un excellent sens politique. Beaucoup d'Africains considèrent qu'elle a attaqué -au bon moment - l'un des points faibles de Sarkozy à savoir sa politique africaine et au-delà sa vision du continent noir. Selon le quotidien Dakar Soir : «La bataille de Dakar a donc bien eu lieu. La capitale sénégalaise a servi de ring au Président français et à sa rivale malheureuse lors de la dernière élection. C'est là que se jouent les prolongations. Après l'hallucinant discours de Dakar où Sarkozy n'avait pas craint de véhiculer les pires clichés du racisme à l'encontre des Africains, l'occasion était tentante pour l'ex-Madone des sondages de prendre son exact contre-pied».
La déclaration de Royal intervient quelques jours à peine après la visite du président français en Afrique. Une tournée contestée sur le continent noir : Sarkozy étant accusé par nombre de médias de se préoccuper surtout des intérêts des grandes entreprises françaises. Alors qu'il visitait Niamey, Areva signait un contrat très important pour l'exploitation de l'uranium du Niger. Cet accord était loin d'aller de soi, les Chinois étant aussi sur les rangs. La visite à Brazzaville intervenait dans un contexte tout aussi économique, le groupe Bolloré ayant obtenu la gestion du port de Pointe Noire.
Le discours de Royal appelant à la mise à bas de la Françafrique intervient à un moment où le président français est accusé de très bien s'accommoder d'un système qu'il avait tant dénoncé par le passé. Les propos «antifrançafrique» de la socialiste font étrangement échos à ceux tenus avant l'élection présidentielle par un certain... Nicolas Sarkozy. De quoi faire enrager l'Elysée.
Autre habileté de Ségolène Royal, elle affronte son rival sur un terrain qui lui est favorable. D'une certaine façon pour reprendre un terme footballistique, elle joue à domicile. Native du Sénégal où son père était militaire, elle se présente d'ailleurs dans son discours comme une «fille de l'Afrique». Et elle est perçue comme telle par nombre d'Africains, fiers qu'une femme ayant vu le jour sur le sol Sénégalais soit devenue une personnalité politique de premier plan en France, le pays qui reste la référence au Sénégal.
D'autre part, sa popularité est inversement proportionnelle à l'impopularité du Chef de l'Etat français au Sénégal. Les intellectuels retiennent l'homme du discours de Dakar qui passe d'autant plus mal que les Sénégalais se rappellent de tous les sacrifices que leur pays a réalisé pour contribuer à la libération de la France. Et de «l'ingratitude d'une certaine France». Le massacre de Thiaroye -des soldats sénégalais assassinés en 1945 à leur retour au pays car ils demandaient le paiement de leurs arriérés de soldes- reste dans toutes mémoires.
Mais les milieux populaires considèrent surtout Sarkozy comme le responsable du durcissement de la politique migratoire. Un «crime de lèse majesté» dans un pays où la jeunesse est prête à monter dans des pateras pour rejoindre l'Europe.
Le discours de Royal en matière d'immigration est perçu comme beaucoup plus «généreux et solidaire». D'autre part, les Sénégalais friands d'images venues de Paris se rappellent que Royal a tenu tête à Sarkozy lors du débat qui a précédé la deuxième tour de la présidentielle.
«Elle est perçue comme la championne de l'Afrique, celle qui défend sa cause, et les valeurs traditionnelles de la France», explique le journaliste béninois, Marcus Boni Teiga qui ajoute : «Les Africains n'ont pas pardonné à Sarkozy d'avoir déclaré que la France n'avait pas besoin de l'Afrique. Surtout qu'il est venu le dire chez nous. Lors de son séjour à Cotonou, les autorités ont tout fait pour éviter les contacts avec la population. Sinon ça se serait mal passé. Les gens étaient très remontés. Un bain de foule à la Chirac aurait été difficilement imaginable».
Dès lors le contraste est saisissant entre «Ségo l'Africaine» et «Sarkozy le mal-aimé». D'ailleurs, selon Dakar Soir, l'Elysée appréhendait ce «retour au pays» : «Royal a dû se contenter de tenir son discours à la maison du parti socialiste. C'est qu'à l'Elysée, on s'est intéressé de très près à ce déplacement. A tel point que d'intenses lobbyings ont été opérés depuis Paris pour que l'ancienne compagne de François Holllande ne rencontre pas le Président Wade. La manœuvre semble avoir réussi car on a prétexté un problème d'agenda pour ne pas la recevoir». Le quotidien dakarois ajoute : «Quand on sait que Claude Guéant, le tout puissant bras droit de Sarkozy joue les chaperons pour Karim Wade (l'influent fils du Président), on comprend aisément que Ségo ne soit pas invitée à prendre l'apéro avec Wade».
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