Suite de l'interview…
Aujourd'hui, peut-on dire que le pic de la crise financière est passé ?
Personne n'en sait rien ! La crise de liquidité semble se résorber. Mais qui peut dire dans la jungle de la titrisation, des dérivés, des synthétiques, des swaps, où sont les produits toxiques ? Qui peut dire comment la bulle de l'endettement va se dégonfler ? De toute façon le retour de la confiance sera lent et exigera une profonde transformation du système financier mondial. C'est pour cela que le sommet du 15 novembre est essentiel et qu'il ne peut pas être un sommet pour rien.
Le plan européen s'est donné comme priorité de rétablir la confiance...
Oui, mais la garantie de l'Etat, c'est une réponse exceptionnelle à une situation de crise exceptionnelle. Tout pouvait s'effondrer dès lors que la crise de confiance empêchait l'argent de circuler entre les banques et que les déposants pouvaient avoir peur pour leurs économies.
Les Etats ont fait ce qu'ils devaient. Mais pour l'avenir il faut reconstruire un système où les banques financent l'économie au lieu de financer la spéculation, où elles font leur métier qui est d'évaluer le risque de crédit et non de chercher à gagner de l'argent sur les marchés. Ce n'est pas seulement un problème de comportement individuel. C'est le système dans lequel elles se sont trouvées placées avec ses exigences de rendement trop élevées et sa mutualisation excessive des risques qui les a conduites à prendre, parfois sans le savoir, des risques inconsidérés. Du coup, des rentabilités énormes sont apparues tandis que des risques immenses s'accumulaient dans le système. Ce sont ces risques qu'il faut maintenant purger et cette dérive qui déconnecte le risque de la rentabilité qu'il faut corriger. C'est le principal défi à relever pour une nouvelle régulation financière.
L'économie réelle accuse à son tour le choc. La crise actuelle peut-elle déboucher sur une dépression ?
Le ralentissement de l'activité est déjà là : il se fait sentir dans le monde entier du fait de la mondialisation de l'économie et de la globalisation financière. Jusqu'où ira ce ralentissement, personne ne le sait. Ce que l'on sait, c'est qu'en réagissant vite et fort au problème de la liquidité bancaire on a évité une dépression du type années 1930. Maintenant, il ne faut pas prendre la crise économique à la légère et il faut réagir sans tarder en fonction de l'évolution de la conjoncture. On se souvient qu'à avoir trop tardé à réagir à la grave crise financière qu'il a connue au début des années 1990, le Japon s'est condamné à une stagnation de plus de dix ans de son économie. Il est essentiel de ne pas reproduire cette erreur.
Si l'on met bout à bout ce qui a été annoncé depuis dix jours, diriez-vous qu'il s'agit d'une politique de relance ?
Ce débat sémantique n'a aucun intérêt, il s'agit de soutenir l'activité. Est-ce suffisant ? S'il faut faire davantage dans les mois qui viennent, eh bien le gouvernement fera davantage.
Pourquoi avoir privilégié l'investissement sur la consommation ? Après avoir vu défiler des milliards pour les banques, les Français risquent d'en vouloir pour eux.
Parce qu'en sauvant les économies et les emplois des Français, on ne s'occupe pas des Français ? Dans la situation actuelle, la meilleure façon de soutenir le niveau de vie des Français, c'est de faire en sorte que les banques continuent à prêter et que les entreprises ne mettent pas la clef sous la porte ! Pourquoi avoir choisi l'investissement plutôt que la consommation ? Parce que notre économie est très ouverte et qu'en stimulant les achats de produits étrangers, on ne stimule pas beaucoup la production nationale. Parce que l'investissement, c'est la meilleure façon de concilier les exigences de court terme et de long terme. Parce qu'il faut nous mettre en situation de profiter au mieux de la reprise quand elle viendra. Et elle viendra. Peut-être faudra-t-il un jour soutenir directement la consommation mais le cadre européen serait alors plus adapté, parce que globalement l'économie européenne est beaucoup moins ouverte.
A quoi va servir le fonds d'investissement annoncé jeudi : aider les PME innovantes à se développer ? Aider une grande entreprise à combattre une OPA hostile ?
L'épargne mondiale qui recherche la sécurité afflue vers les bons du Trésor et les obligations d'Etat. Il faut réorienter cette épargne vers l'investissement, vers la production, vers les entreprises. C'est la vocation de ce fonds qui aura des objectifs stratégiques en investissant dans les activités porteuses d'avenir.
L'Etat est-il si bon décideur que cela ? Il ne l'a pas toujours été dans le passé... L'Allemagne ne cache pas son agacement...
Il me semble qu'en ce moment l'infaillibilité des marchés est assez difficile à défendre ! Et il ne s'agit pas d'étatiser l'économie mais de permettre à l'Etat d'être un entrepreneur et un investisseur avec ses propres objectifs. Dans le dossier Alstom cela n'a pas si mal marché et dans l'histoire du développement économique et du capitalisme, l'Etat a joué un rôle qui n'a pas toujours été négatif. Vous verrez que dans la période qui s'ouvre, les Etats seront partout davantage présents dans l'économie même si certains ont encore du mal à l'imaginer. Et je préfère un Etat entrepreneur et investisseur qu'un Etat bureaucratique, protectionniste, dirigiste. L'Europe sera-t-elle la seule à subir ou se donnera-t-elle les moyens d'agir ? Voilà la question.
Pour le fonds d'intervention, on a parlé de 100 milliards puis le chiffre a été démenti...
Les fonds seront mobilisés au fur et à mesure des besoins. C'est un fonds d'investissement, ce n'est pas un guichet !
Jusqu'où peut aller ce retour de l'Etat ? L'Etat reprend-il le contrôle de l'économie ?
Non, les prises de participation seront temporaires avec pour objectif de réaliser des plus-values. Mais au-delà de ce fonds, je crois qu'il y aura effectivement demain dans l'économie mondiale un autre équilibre entre le politique et le marché. Sous quelle forme, pour combien de temps ? C'est encore trop tôt pour le dire.
Revient-on au capitalisme d'Etat des années 1960 ? Quels sont vos modèles ?
Il n'y a aucun modèle, il faut en quelque sorte réinventer le monde au sortir de cette crise. Si demain il doit y avoir une nouvelle forme de capitalisme d'Etat, elle ne ressemblera sans doute pas à celle des années 1960 ou à celle du XIXe siècle. Pour le meilleur si nous réussissons à nous mettre d'accord sur les nouvelles règles du jeu mondiales. Pour le pire si nous échouons. Ce que je crois, c'est que dans les années qui viennent la pression des opinions risque d'être plus forte que celle des marchés. Comme l'a dit le président jeudi dernier, si l'on ne répond pas au besoin d'éthique, de régulation, d'équité, on pourrait bien se trouver confronté dans les pays développés à la grande révolte des classes moyennes.
Pourquoi n'avez-vous pas décidé de plans sectoriels, sur l'automobile notamment ?
La meilleure réponse est européenne, en tout cas coordonnée avec les autres grands pays constructeurs d'automobiles. Les Américains ont accordé 25 milliards de prêts bonifiés à leur industrie automobile. On voit bien que face à une telle mesure la doctrine européenne sur les aides d'Etat ne peut pas rester figée. L'Europe va devoir réfléchir à la manière de s'adapter à un monde qui change.
Le débat sur les déficits est-il un peu dépassé ?
Il a toujours été mal posé et dans la situation actuelle si l'on ne soutient pas les banques et si l'on ne soutient pas l'activité, les déficits se creuseront bien davantage. Ce n'est naturellement pas une raison pour faire n'importe quoi et pour jeter l'argent public par les fenêtres.
Pourquoi le président persiste-t-il sur son idée de gouvernement économique de l'Europe au risque d'introduire un vrai différend avec Angela Merkel ?
L'Europe a besoin de plus de politique. Il lui faut tirer les leçons de ce qu'elle a été capable de faire face à la crise bancaire. Le soutien aux banques, personne n'en voulait, puis tout le monde y est venu. Le soutien à l'activité, personne n'en voulait, maintenant tout le monde en fait. Les idées évoluent. Mais si l'on n'ouvre pas le débat, il n'y a aucune chance pour que les choses changent. La zone euro a-t-elle besoin d'un gouvernement économique ? La réponse est oui. Alors pourquoi ne pas le dire ? Le président a ouvert le débat. Il a bien fait.
George Bush s'est fait un peu tirer l'oreille pour accepter le sommet international...
Non, simplement les idées ont évolué avec les événements. Imaginez ce que l'on aurait dit il y a un an si quelqu'un avait émis l'hypothèse aux Etats-Unis ou en Angleterre que dans certaines circonstances il pouvait être utile de nationaliser les plus grandes institutions financières du pays ? Avec la prise de conscience des risques écologiques, la montée des crispations identitaires, le terrorisme, le 11 Septembre, la guerre en Irak, s'est close l'ère de la mondialisation heureuse. La crise financière achève le mouvement de balancier. Une nouvelle ère s'ouvre. Beaucoup de gens en prennent conscience. Les Américains comme les autres.
La crise à l'œuvre depuis un an condamne un certain capitalisme financier. Au fond, est-ce que vous jubilez d'avoir eu raison contre tout le monde ?
Qui pourrait se réjouir d'un tel désastre avec son cortège de souffrances ? Je déplore qu'il ait été impossible de débattre plus tôt des dérives du système pour pouvoir les corriger au lieu d'attendre une telle crise. Le capitalisme financier a perverti le capitalisme et détruit le système de valeurs qui depuis toujours lui donne sa vitalité et sa puissance créatrice. L'enjeu aujourd'hui, c'est de revenir aux sources éthiques du vrai capitalisme, celui de l'entrepreneur, de la récompense de l'effort et du mérite, de la responsabilité.
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