La crise expliquée par les maths...
"Cesse-t-on de consulter la météo après une tempête imprévue ? Non, bien sûr. Les tornades et tsunamis délivrent au contraire des données que les scientifiques des services de météorologie s'empressent d'analyser pour perfectionner leurs prévisions.
Ainsi en est-il de la finance. La crise donne du grain à moudre aux mathématiciens. Près de 600 d'entre eux étaient réunis les 19 et 20 mars, à Paris, à l'occasion du deuxième Forum international sur la recherche en finance, organisé par l'Institut Europlace. "La crise est un cas magnifique pour un chercheur ; un cas intéressant, comme dirait un médecin d'un malade", apprécie Pierre-Louis Lions, médaille Fields (l'équivalent du prix Nobel pour les mathématiciens de moins de 40 ans) et professeur au Collège de France.
"On a trop fait confiance à des modèles trop simples, à des agences de notation qui elles aussi s'appuyaient sur des modèles simplistes", souligne Michel Crouhy, directeur recherche et développement de Natixis. "Les banques qui ont le moins perdu sont celles qui ont utilisé les modèles les plus sophistiqués", affirme Valérie Rabault, responsable Risk Strategy pour les activités Dérivés-action de BNP Paribas.
La crise permet de mieux cerner les faiblesses des modèles mathématiques. Quatre défis attendent les chercheurs."...
Premier défi : la fiabilité des données.
Les modèles ne peuvent être fiables que s'ils utilisent des données qui le sont. Or ce n'était plus le cas dans les années qui précédèrent la crise. "En 2000, les trois quarts des prêts américains immobiliers risqués (les subprimes) étaient bien documentés. En 2006, la moitié seulement l'était. Car vérifier l'information coûte cher", explique Til Schuermann, de la Banque centrale (Federal Reserve) de New York.
Deuxième défi : gérer la pénurie.
Les modèles et les régulations conduisent un grand nombre d'acteurs à adopter le même comportement. Quand la crise a commencé, ils ont été nombreux à vouloir acheter les mêmes produits pour se couvrir, et n'en ont plus trouvé sur le marché. Ou, quand il y en avait, "ils étaient vendus à des prix exorbitants, du fait d'une volatilité (fluctuation des cours) exceptionnelle", observe Mme Rabault.
En outre, "les instruments nécessaires pour couvrir des titres dont la valeur chute de plus de 40 % en quelques jours n'existaient tout simplement pas sur les marchés cotés, parce que personne n'avait pensé que des clients en auraient un jour besoin", ajoute cette spécialiste. Cette situation de pénurie n'est pas prévue dans les modèles, qui considèrent que tout produit financier est à tout moment disponible sur le marché. "Ce risque de liquidité intéresse les chercheurs", confirme Monique Jeanblanc, professeure de mathématiques à l'université d'Evry.
Troisième défi : les interactions entre les acteurs.
Au lieu de gérer la situation d'une banque indépendamment des autres, les modèles mathématiques devront prendre en compte "le risque systémique", ajoute Christian Gouriéroux, professeur au Centre de recherche en économie et statistiques (Crest) et à l'université de Toronto. Les comportements des traders doivent être mieux étudiés. "La crise va recentrer la recherche vers la compréhension des mécanismes, les interactions entre les agents, la physique du marché", se réjouit Frédéric Abergel, professeur, titulaire de la chaire de finance quantitative à l'Ecole centrale de Paris.
Ces modèles existaient depuis le début de la décennie, mais étaient peu utilisés "parce qu'ils mettaient plus en évidence les risques, ce qui impliquait que les banques devaient faire plus de provisions, hypothèse qu'elles n'avaient guère envie d'entendre ! La crise va faire ressortir ces modèles issus de l'éconophysique, qui complètent les modèles mathématiques", ajoute M. Abergel. Pour y parvenir, il faut aussi que les modèles ne soient plus statiques, comme le sont la plupart d'entre eux, mais dynamiques, c'est-à-dire qu'ils tiennent compte de l'évolution des situations et des risques encourus. Mais peu de praticiens sont formés à l'utilisation des modèles dynamiques.
Quatrième défi : mieux considérer les risques.
Le métier de gestionnaire des risques est moins respecté que celui de commercial (trader). "Mes meilleurs étudiants ont été embauchés par les traders. Ceux chargés de mesurer les risques étaient moins bien traités, ce qui a introduit des distorsions. C'est un point clé de l'histoire", insiste Jean-Michel Lasry, conseiller scientifique de Calyon. A diplôme égal, un mathématicien travaillant à la gestion des risques, avec cinq ans d'expérience, gagne environ quatre à cinq fois moins que son collègue "quant" - analyste quantitatif, spécialiste des titres financiers sophistiqués -, qui met ses compétences aux profits des traders. CQFD.
Annie Kahn
Article paru dans l'édition du 28.03.09. "Le Monde.fr"
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