Frédéric Cuvillier évalue les différents modes de financement des travaux de la RCEA.
Le Ministre délégué en charge des Transports, Frédéric Cuvillier, a décidé de suivre la recommandation du débat public achevé en 2011 c’est-à-dire que « les propositions alternatives de montage financier, les propositions d’aménagement de sécurité et les principaux amendements [au projet Route Centre Europe Atlantique (RCEA)] soient examinés de façon contradictoire, au besoin chiffres contre chiffres, afin que les ministres disposent de tous les éléments d’appréciation avant leur prise de décision […]. »
Cette mission d’évaluation des différentes solutions proposées que le Ministre a confiée au Conseil général de l’Environnement et du Développement durable devra associer étroitement les élus locaux. La mission doit rendre ses conclusions sous cinq mois.
Dans l’attente de ses conclusions, le ministre a suspendu le déroulement des réflexions menées localement sur la mise en concession autoroutière, décidées par le précédent Gouvernement sans tenir compte du débat.
Le ministre confirme enfin la mise en œuvre d’un programme de mesures à prendre à court terme, afin de répondre à l’urgence d’amélioration de la sécurité sur cet axe.
Où en est le projet d’aménagement de la RCEA ?
L’aménagement de la RCEA répond à de nombreux enjeux économiques, mais pas seulement. Les problèmes de sécurité qui se posent depuis de nombreuses années sur cet axe routier sont extrêmement préoccupants. L’itinéraire situé entre les autoroutes A71 et A6, mêlant un trafic local à un trafic longue distance très dense, est le théâtre de nombreux accidents meurtriers. La mise en 2x2 voies de cette route permettrait de répondre au mieux à ces enjeux de sécurité tout en améliorant la qualité de service de cet axe, la desserte et le développement des territoires traversés.
Le projet de mise en 2x2 voies nécessite des investissements conséquents estimés dans une fourchette allant de 950 M€ à 1100 M€. Cela pose la question du financement des travaux. La mise en concession avait alors été décidée par le précédent gouvernement. Cette solution, envisagée comme la moins couteuse pour les finances publiques et la plus rapide, avait soulevé une vague d’inquiétudes des usagers locaux quant au coût d’usage de la voie.
Or, force est de constater que l’objectif de concrétisation rapide du projet a été manqué.
En effet, déjà en 2005, l’ancien Ministre des Transports Dominique Perben avait annoncé une accélération des travaux de la RCEA et lancé une étude pour la mise en concession de la section Moulins-Mâcon. Déjà les élus de droite s’étaient félicités de cette décision (cf., La Montagne, L’Allier en nœud autoroutier, 3 Aout 2005 ; La Montagne, « Les échéances se précisent, XXX ; La Montagne, Confirmation de Dominique Perben à Yves Simon, 16 Novembre 2005). Le directeur de la Direction Départementale de l’Equipement (DDE) de l’époque avait d’ailleurs confirmé que l’ensemble du tracé de la RCEA était techniquement réalisable en 2X2 voies. Mais le projet est resté au point mort. Nous sommes fin 2012 et les travaux n’ont pas avancé. La mise en service était prévue en 2017.
Le 7 avril 2010, la Commission nationale du débat public (CNDP) décide de soumettre le projet d’accélération de la mise à 2X2 voies à un débat public qui sera lancé en novembre 2010. Ce débat a pour objectif d’éclairer le maitre d’ouvrage dans sa prise de décision. Le calendrier présenté à cette occasion devait permettre le choix du concessionnaire en 2012. Le début des travaux est prévu en 2014 et doit durer 3 ans.
Les conclusions du débat public sont réservées quant au choix de la concession.
Le débat public a duré trois mois, du 4 novembre 2010 au 4 février 2011, et a couté plus de 700 000 €, La CPDP a organisé 12 réunions publiques qui ont permis d’aborder plusieurs aspects importants. L’urgence d’achever l’aménagement en 2X2 voies de la RCEA fait l’objet d’un quasi consensus. Il s’agit de répondre au double impératif d’amélioration de la sécurité sur cet axe et de développement économique pour les acteurs locaux.
La question du financement du projet et notamment du recours à la mise en concession de l’axe a fait l’objet de vifs débats.
La motivation du recours à la concession a suscité de très nombreuses interrogations et de vives polémiques : si pour la maîtrise d’ouvrage et de nombreux participants, c’est la condition sine qua non à l’achèvement rapide de la RCEA, pour une très large partie de ceux qui se sont exprimés, le recours à la concession est une solution qui traduit un désengagement de l’Etat vis-à-vis de ses responsabilités en matière de sécurité. Cette interprétation du choix de la concession a été confortée par l’absence de présentation par le maître d’ouvrage de solutions permettant d’atteindre des objectifs comparables ou même acceptables par d’autres moyens.
Selon les conclusions du débat public : la RCEA est « une route dont ni la conception, ni le fonctionnement, ne s’adaptent facilement à une évolution vers une autoroute. La RCEA est réalisée actuellement sur 30 % de son parcours, « en pointillés », par petites sections et déviations discontinues. Les facilités d’accès propres aux voies express ont conduit ses concepteurs à placer 55 diffuseurs ou échangeurs sur les 240 km de son parcours alors qu’une autoroute n’en disposerait vraisemblablement que de 6 à 8. »
De plus, l’impact d’une autoroute à péage a suscité des inquiétudes notamment sur le risque d’un report massif de trafic sur la voirie départementale de ceux qui ne souhaiteraient ou ne pourraient pas acquitter le coût du péage.
Le projet d’aménagement de la RCEA en 2x2 est entièrement déclaré d’utilité publique depuis près de 15 ans. Le public et les élus n’acceptent pas que la maîtrise d’ouvrage ne puisse apporter des réponses précises à ses questions en renvoyant à des études ultérieures et à des concertations. La maîtrise d’ouvrage, par des réponses dilatoires, évasives ou au contraire trop techniques, ou même par des cartes comportant des erreurs grossières, a donné le sentiment d’avoir une connaissance insuffisante du terrain, des situations locales et des élus. Ces mêmes élus ont d’ailleurs déploré le manque de contacts avec les deux services régionaux et interrégionaux de l’Etat en charge du réseau national, les DREAL et la DIR-CE. Il serait important, ne serait-ce que pour la crédibilité de la maîtrise d’ouvrage, d’associer aux réflexions des relais locaux qui apporteraient un éclairage précis sur les contraintes à prendre en compte et les attentes des acteurs concernés. Il est urgent d’agir !
En conclusion, la trop longue histoire de ce projet pèse sur la manière dont les différents acteurs se positionnent. Certains sont pour le projet sans réserve, d’autres, lassés d’attendre son achèvement au gré des fluctuations budgétaires, l’acceptent sous réserve d’un examen approfondi des solutions alternatives afin d’être assurés que la concession est bien la seule solution, comme l’affirme la maîtrise d’ouvrage. D’autres, enfin, sont résolument opposés à la concession et prêts à poursuivre leur combat contre cette solution qui leur paraît inacceptable.
La commission émet le souhait que les propositions alternatives de montage financier, les propositions d’aménagement de sécurité et les principaux amendements soient examinés de façon contradictoire, au besoin chiffres contre chiffres, afin que les ministres disposent de tous les éléments d’appréciation avant leur prise de décision, mais également afin que les auteurs de ces propositions aient le sentiment d’avoir été respectés, conformément aux principes du débat public.
Pourtant, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, Ministre de l’écologie et Thierry MARIANI, secrétaire d’Etat chargé des Transports, s’engagent sur l’aménagement de l’ensemble des sections de la RCEA avec une mise en concession, à l’horizon 2017 !
Par un communiqué de presse du 28 juin 2011, NKM et T. MARIANI informent de la décision d’aménager les 160 km de route en 2X2 voies. Les ministres ont déclaré qu’ « en l’absence d’alternative raisonnable pour financer à court terme les aménagements nécessaires, la solution de recourir à la concession est un choix de raison et d’efficacité. Il permet un aménagement rapide de la RCEA tout en maitrisant la dépense publique ». NKM et T. MARIANI s’engagent pour un terme de projet à l’horizon 2017 !
Finalement, lors de l’assemblée Générale de l’association ARCEA (Association pour la Route Centre Europe Atlantique), la Ministre ne réitère pas son engagement…
Le 14 février 2012, Nathalie Kosciusko-Morizet est venu exposer la position de l’État. Si elle a admis que la mise à 2X2 voies de la RCEA revêtait un enjeu fondamental, les moyens de l’atteindre sont toujours l’objet de discussions. L’État n’a pas les moyens financiers nécessaires aux aménagements : c’est pourquoi, selon elle, la solution de la concession semble cohérente. Lors de cette réunion, Nathalie Kosciusko-Morizet a expliqué que les propositions d’Arnaud Montebourg étaient à l’étude. Cependant, elle ne semblait pas favorable à ces dernières.
Lorsque Pierre André Perissol et Gérard Dériot ont demandé une clarification écrite, la Ministre est restée floue.
NKM explique que « la mise en concession suivra bien sa voie. Pour autant, l’Etat n’a pas le milliard nécessaire pour vous garantir dans un délai raisonnable les travaux qu’il convient de faire. ». Cette simple phrase traduit l’ambiguïté de sa position.
« Je voudrais pour le 3ème point, être précise sur le calendrier. Les études ont commencé. Un comité de pilotage a été mis en place, un garant a été choisi. Une fois qu’on aura engagé toutes les procédures, le choix du concessionnaire pourra se faire début 2013. »
Contrairement à ce qui avait été annoncé à grand renfort de publicité, l’échéance des travaux n’est plus précisée.
Le calendrier annoncé semble inaccessible
En juin 2011, la concession autoroutière était annoncée avec une fin programmée en 2017. A la suite de cette décision, des formalités administratives et des délais inhérents à celles-ci sont incontournables.
Ainsi, afin de réaliser une autoroute il est nécessaire de rédiger un nouveau dossier de Déclaration d’Utilité Publique (DUP). L’enquête publique et l’avis du Conseil d’État peuvent prendre 24 mois. Un décret est ensuite présenté après avis du Conseil d’État. Celui-ci rendra ses conclusions mi 2014 si les dates sont respectées.
Le concessionnaire devra entamer des études techniques et demander des autorisations. Les travaux débuteront dans le meilleur des cas dans le courant de l’année 2017. La RCEA serait ainsi mise en service après un délai de 4 ou 5 ans de travaux c'est-à-dire en 2021 ou 2022. Nous sommes loin des délais annoncés par le précédent gouvernement ; d’autant que ce calendrier ne tient pas compte des éventuels recours déposés qui retarderont énormément toutes les étapes de la mise en concession.
La participation de l’État en cas de mise en concession est estimée au minimum à 150M€ mais vraisemblablement plus. Aucun crédit n’avait été inscrit par le gouvernement précédent. Les promesses ne peuvent être tenues.
Le risque juridique est réel
Dans la conclusion du débat public, une interrogation sur la faisabilité juridique d’un système de concession avec péage avait été pointée par des experts. En effet en dehors des problèmes économiques et financiers, plusieurs incertitudes juridiques apparaissent et peuvent donner lieu à des recours :
- La liberté de circulation (un ouvrage concédé donc payant ne maintient pas ce droit et oblige à la mise en place d’un itinéraire de substitution).
- La gratuité de circulation (ce qui implique le maintien d’un itinéraire permettant de circuler gratuitement).
On ne peut déroger à ces principes d’égalité qui sont inscrits dans la constitution.
D’autres principes peuvent introduire une incertitude concernant la sécurité juridique du projet.
- L’aggravation objective de traitement de l’usager qui souhaiterait ne pas utiliser l’autoroute. Les itinéraires alternatifs, donc gratuits, sont beaucoup plus longs en termes de kilomètre et de temps sur certaines parties du trajet.
- Le principe d’équité entre usagers : Le système de péages proposé conduit à une trop grande disparité entre les usagers.
La jurisprudence existe sur le sujet.
Selon M. Daniel CHABANOL, conseiller d’Etat honoraire, dont l’analyse juridique est reprise dans les conclusions du débat public, « Il n’est donc pas possible de garantir que ce projet pourrait être mené à bien sans accident juridique.»
Affaire à suivre…
La décision de Frédéric Cuvillier de « suspendre le déroulement des réflexions menées localement sur la mise en concession » est la plus sage face aux incertitudes entourant l’aménagement de cette route sensible.
Nous vous présenterons l’étude qui déterminera si les finances publiques sont en mesure de financer la mise en 2X2 voies de la RCEA. Le financement de l’aménagement de cette route pourrait aussi éventuellement être réalisé par l’écotaxe. A suivre…
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