Le gouvernement et les syndicats ont un intérêt commun à canaliser l'angoisse sociale. Mais le pouvoir devra concéder davantage.
un article de jean-marie Colombani du vendredi 20 mars 2009
Alors, on continue? On continue! Oui mais comment? Telle est la question que peuvent se poser les organisations syndicales au lendemain de la journée de manifestations du 19 mars, plus importantes que lors de la précédente journée six semaines plus tôt. Comment concrétiser ce succès qui les met en bonne posture de négociation, mais qui ne nuit pas non plus au gouvernement.
Succès maîtrisé donc. Comme si les syndicats avaient voulu désamorcer la critique qui s'amorçait dans l'opinion, ils ont moins mobilisé dans la fonction publique, du coté donc de ceux que protège leur statut et la garantie de leur pouvoir d'achat, et davantage dans le secteur privé, là où grandit le nombre des victimes de la crise, travailleurs précarisés ou plus durement encore précipités au chômage. Des cortèges plus imposants et mieux composés, donc, voulant donner l'image d'une solidarité entre les deux France, celle que l'on dit à l'abri (ce n'est globalement pas faux) et celle qui en prend plein la figure, Entre ce lendemain de mobilisation réussie, et le 1er mai, rendez-vous logique pour le prochain grand rassemblement, les syndicats devront imaginer une sorte de continuum de la mobilisation, dans les régions les plus touchées par les restructurations qui se profilent, afin de maintenir le gouvernement sous pression.
Ils sont déjà forts de la position qu'ils ont conquise: voilà bien longtemps que l'on n'avait vu un rapport de force aussi favorable, pour des organisations qui étaient jusque là plutôt spectatrices, et qui se sont relacées en interlocutrices obligées, et légitimées par la foule.
La situation n'est pas pour autant trop inconfortable pour le gouvernement. Car si le seul prix à payer devait être cette dialectique très contrôlée entre lui et les syndicats, scandée par des cortèges qui, à intervalle régulier, permettent d'"évacuer la pression", pour parler le langage des terrains de football, il serait à coup sûr gagnant.
Le pouvoir donne d'ailleurs l'impression, une fois n'est pas coutume, de jouer avec le temps. On en gagne en organisant un sommet social à l'Elysée, d'où sortent des annonces "sociales", dirigées vers les premières victimes de la crise (chômeurs à temps plein et à temps partiel, à qui l'on promet une meilleure indemnisation, personnes à très bas revenus, pour lesquels on annonce une prime, petites classes moyennes que l'on exonère partiellement de l'impôt sur le revenu); rien de tout cela n'est à négliger pour les intéressés; et le temps de la mise en place, précisément, permet d'occuper le terrain; et d'éviter une problématique plus globale, d'une relance "par la consommation" que les partenaires sociaux comme l'opposition voudraient voir mettre en avant. Tenir, donc, sans céder plus avant, jusqu'aux premiers bourgeons du printemps; celui que Jean-Claude Trichet entrevoit pour le printemps 2010.
Pour le moment, le pouvoir s'en tient, en outre, à un schéma politique classique: Nicolas Sarkozy est impopulaire, certes; mais il n'y a pas d'alternative encore visible à droite. Règle en vigueur aux Etats-Unis et que le président voudrait à coup sûr importer: un premier mandat étant censé préparer le second, le titulaire ne se voit opposer personne de son camp; encore faut-il que ce camp-là s'y retrouve.
Nicolas Sarkozy, qui est contraint à des mesures d'interventions publiques, voire de nationalisations partielles à travers des prises de participation de l'Etat, dont l'inspiration est plus socialiste que libérale, doit pour garder le contact avec le noyau dur de son électorat, refuser de céder à la gauche et à une partie de ses amis sur le "bouclier fiscal", mesure dont il n'a pas la paternité (il a été installé par le gouvernement Villepin) mais qui est devenue, la pression hostile aidant, un marqueur idéologique de la droite.
Pour autant, le sentiment d'injustice existe. Il faudrait que l'on soit sourd et aveugle à l'Elysée pour ne pas s'en apercevoir. D'où l'ultimatum de François Fillon au Medef, décidément grand perdant du 19 mars: si rien n'est fait pour limiter les sur-rémunérations des patrons, il y aura une loi. Rendez-vous dons le 31 mars, date d'expiration du délai de réflexion fixé par le premier ministre! Nicolas Sarkozy espère sans doute dégager au moins ce terrain d'entente avec les syndicats.
Cela suffira-t-il? Sans doute pas. La suite est entre les mains des Français eux-mêmes. Pour le moment, ils donnent tort, du moins ceux qui protestent, à ceux qui à l'extrême gauche, voudraient pouvoir jouer la politique du pire. Mais pour que le syndicats gardent la main, il faut que le pouvoir y mette du sien; plus qu'il n'en a concédé jusqu'à présent, sans doute (c'est-à-dire une enveloppe sociale bien inférieure à ce qu'il accepte de perdre en recettes au bénéfice de la restauration soit 1,5 milliard, versus 3 milliards). C'est une partie délicate pour les deux parties, comme pour nous tous.
Jean Marie Colombani
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