La semaine dernière, nous avons eu une réunion-débat sur l'engagement de nos troupes sur le territoire Syrien. 3 grandes questions ont été abordées:
Quel bilan pour l’opération CHAMMAL ?
Lancée le 19 septembre 2014, Chammal est une opération conduite par l’armée française en coordination avec nos alliés présents dans la région, pour assurer un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre le groupe terroriste autoproclamé Daech. Ces actions sont réalisées à la demande du gouvernement de l’Irak et dans le cadre des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies, en particulier sa Résolution 2170 du 15 août 2014.
Elle consiste en :
- un appui aérien aux forces armées irakiennes, comprenant à la fois des missions de renseignement et des frappes ciblées, d’opportunité ou planifiées à l’avance. Ce dispositif est actuellement structuré autour de douze avions de chasse de l’armée de l’Air (six Rafale, trois Mirage 2000D et trois Mirage 2000N) et d’un avion de patrouille maritime Atlantique 2 ;
- un détachement de militaires à Bagdad et à Erbil (au Kurdistan) pour la formation et le conseil des forces de sécurité irakiennes.
Ces opérations, qui mobilisent 700 militaires, visent à aider les forces locales à reprendre le dessus sur Daech et s’inscrivent dans le temps long.
A ce jour, la situation au Levant est mitigée :
- au Nord de l’Irak, Daech poursuit ses actions de harcèlement contre les Peshmergas, mais ne mène pas d’offensive majeure. La ligne de front est stabilisée, les Kurdes ayant atteint leur objectif territorial dans les zones disputées.
- sur les fronts centre et sud, après plusieurs victoires tactiques, comme la prise de la ville de Ramadi dans l’Anbar, Daech marque une pause opérationnelle pour se réorganiser et renforcer ses défenses depuis ses bases arrière en Syrie.
- la chute concomitante de Palmyre et de Ramadi place Daech à quelques kilomètres de Damas. Le régime syrien éprouve des difficultés à conserver sa position d’acteur dominant et montre des signes d’affaiblissement. Il demeure en posture défensive et peine à reprendre l’initiative. Les forces syriennes sont sous pression à Alep et au centre du pays, Daech menace l’axe stratégique entre Damas et Homs. Quant à l’insurrection, soumise à la pression de Daech et toujours fragmentée, elle peine à poursuivre sa progression.
Pourquoi étendre la zone d’action de l’opération CHAMMAL au territoire Syrien ?
Alors que les forces de sécurité irakiennes ne sont pas encore mesure de renverser le rapport de force et de l’emporter sur le groupe terroriste Daech, ce dernier profite du chaos sécuritaire régnant en Syrie et de la porosité de ses frontières avec les Etats voisins pour y étendre ses zones de contrôle. C’est depuis ces bastions syriens que Daech fomente et commandite des attentats visant l’Europe et plus particulièrement la France, à travers le recrutement, souvent à distance, de certains de ses ressortissants. En effet, cette année 2015 a vu se multiplier des attentats ou projets d’attentats meurtriers, à chaque fois en lien avec des éléments terroristes situés à l’extérieur de nos frontières, pour la plus grande part d’entre eux en Syrie.
Aussi, dans le cadre du droit naturel des Etats à la légitime défense prévu à l’article 51 de la Charte des Nations Unies, le Président de la République a décidé que la France allait effectuer de manière autonome des vols de reconnaissance sur le territoire syrien et en a informé les États-Unis, qui contrôlent l’espace aérien sur cette zone. Ces vols ont commencé le mardi 8 septembre et ont pour vocation de permettre au chef de l’État, chef des armées, de décider d’éventuelles frappes contre Daech sur le territoire syrien, en concertation avec les membres de la coalition.
Notre engagement passe en effet par une relation très étroite avec nos principaux partenaires, mais nous ne cherchons pas pour autant à rentrer aujourd’hui dans des actions combinées de la coalition. En revanche, comme les Britanniques, nous souhaitons pouvoir développer notre propre connaissance de la situation et frapper le moment venu contre des cibles que nous aurons identifiées, en lien avec les pays membres de la coalition. La France tient ainsi à conserver toute son autonomie de décision, qui repose sur une manœuvre complexe associant capteurs satellitaires, d’écoute électromagnétique, et moyens aéroportés d’observation optique (pods de reconnaissance).
Cet élargissement au territoire syrien de la zone d’action de l’opération Chammal ne change en rien la position de la France vis-à-vis de Bachar Al Assad : c’est le chaos qu’il a provoqué – en s’en prenant à l’opposition modérée et aux populations civiles, notamment à travers la libération de milliers de prisonniers radicaux – qui alimente Daech et les groupes extrémistes à l’œuvre au Levant. Il faut donc accompagner les efforts militaires de la coalition d’efforts diplomatiques pour amorcer une transition politique, sans Bachar Al Assad, mais avec des éléments alaouites de son régime. La déclaration présidentielle du Conseil de sécurité du 17 août dernier est en ce sens encourageant, même si les éléments de présence militaire russe en Syrie sont pour le moins troublants et pourraient fragiliser la mise en place de ce processus.
Pourquoi l’envoi de troupes au sol serait inconséquent et irréaliste ?
Le Président de la République a exclu toute intervention au sol, car :
- La France n’a pas vocation à engager à elle seule une reconquête du territoire : elle n’en aurait la légitimité ni auprès des populations concernées, ni auprès des pays voisins, qui n’envisagent pas non plus de déploiement de troupes au sol. C’est la raison pour laquelle la coalition s’efforce à former et entraîner les forces de sécurités locales pour inverser le rapport de force, avec le soutien des populations. Cela prend du temps mais toute action précipitée qui serait vouée à l’échec ne pourrait que renforcer Daech à court, moyen et long terme.
- Un déploiement au sol implique des objectifs clairs et précis. Or, la situation en Syrie est tout sauf lisible. Entre les forces du régime, les opposants modérés, les opposants radicalisés, les insurgés du Front Al Nosra et les éléments de Daech, on assiste à une atomisation croissante du théâtre syrien : aucune force ne semble aujourd’hui en mesure de prendre le dessus militairement et il est de plus en plus difficile d’identifier qui combat pour qui et contre qui. Dans un tel contexte, l’envoi de forces terrestres est inenvisageable.