Audition du général Jean-François Hogard, directeur de la protection et de la sécurité de la défense, sur le projet de loi relatif au renseignement
Cette audition se tient dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au renseignement actuellement débattue à l’Assemblée Nationale. La direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) est un des trois services de renseignement relevant du ministère de la Défense. Étant en première ligne dans la mission de protection des forces armées, tant en opérations extérieures qu’à l’intérieur, elle est particulièrement concernée, notamment en ce qui concerne la finalité de lutte contre le terrorisme.
Les relations entre les différents services de renseignement sont quotidiennes. Les six services travaillent ensemble : la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure), la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure), la DNRED (direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières), TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), la DRM (direction du renseignement militaire) et la DPSD.
Le rôle de la DPSD consiste à détecter la menace, puis à transmettre l’information aux services judiciaires. S’il n’y a pas lieu de judiciariser mais que la menace existe, il est possible de l’entraver, par exemple en proposant la révision de son habilitation.
1) Effectifs
La DPSD employait 1076 personnes fin 2014, et avec les renforts du volet anti-terroriste accordés par le Premier ministre, les effectifs vont passer à 1 145 personnes fin 2015 et 1 165 fin 2016. Le service, qui comptait 1 500 personnes en 2008, a donc perdu un effectif important dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Mais la délégation parlementaire au renseignement (DPR) souhaite dans son dernier rapport que l’effectif de la DPSD se monte à 1 300 personnes.
Le général Hogard regrette cette baisse des effectifs qui a généré notamment un manque d’inspecteurs de sécurité de la défense (ISD), c’est-à-dire les agents chargés de recueillir le renseignement. Il reconnait avoir quelques difficultés à recruter des personnes qualifiées : le Service est en discussion permanente avec la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) et en cas de concurrence entre les différents employeurs du ministère, le renseignement est considéré comme prioritaire. Mais les considérations spécifiques en matière de sécurité éliminent de facto des candidats potentiels. Des besoins de formation se font sentir dans le domaine de la cyberdéfense. Un pôle est en train de se créer en Bretagne, qui devrait permettre de couvrir les besoins. Un autre frein au recrutement relève d’une faiblesse des rémunérations face au secteur privé : par exemple un ingénieur en cyberdéfense touche 4 500 € dans le privé contre seulement 2 200 € au sein des services de renseignement. Interrogé par M. Daniel Boisserie sur la possibilité de recourir à des contractuels – donc mieux les payer - le directeur de la DPSD répond que dans son service les contractuels sont moins payés que les fonctionnaires, et qu’il ne dispose pas du budget nécessaire pour verser des primes susceptibles d’augmenter leurs salaires.
2) Analyse du projet de loi sur le renseignement
Selon le général Hogard, ce texte constitue une avancée majeure puisqu’il permettra à la DPSD de disposer désormais d’un cadre juridique unifié, cohérent et complet qui renforcera son efficacité et sécurisera l’action de ses agents. Il simplifie, synthétise et unifie un ensemble de textes hétérogènes. Les textes écrits avant le développement exponentiel de l’internet et de la téléphonie mobile étaient devenus obsolètes. Au vu de l’ampleur de la menace, d’une part, et de l’évolution des techniques de communication, d’autre part, il était absolument nécessaire de moderniser le cadre juridique de l’action des services de renseignement.
Le projet encadre également juridiquement l’emploi des techniques de renseignement, en contrepartie d’un contrôle ex ante par l’autorité administrative, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). De plus, il permet de recourir, sous le contrôle du Premier ministre, à des techniques en cas d’urgence absolue, avec un contrôle ex post de la CNCTR. Pour le général Hogard, il est indispensable que le projet de loi comporte des dispositions spécifiques en cas d’urgence, le contrôle ne saurait ralentir la nécessaire réactivité des services en cas de menace imminente. En revanche, il considère que le renforcement de la CNCTR est une bonne chose, qui permettra de lever les suspicions qui pèsent sur le renseignement en France.
Interrogé par MM. les députés Chrétien et Le Bris sur un cas éventuel de fuite de la part d’un agent de la DPSD, le général Hogard répond qu’il doit suivre la procédure fixée par la loi donc avec le projet de loi actuel, il devra en référer à la CNCTR. Cependant, il rappelle que des mécanismes de sélection des agents, et de cloisonnement des missions permettent d’éviter ce genre de problèmes.
Interrogé par M. Joachim Pueyo quant à la nouvelle mission de protection des intérêts économiques et scientifiques qui serait confiée par cette loi à ses services, le directeur de la DPSD estime que le texte permettra à la France d’être pleinement au niveau. Il rappelle que les services veillent sur la sécurité de 10 000 entreprises, dont 4 000 ont accès à des informations ou constituent des sites sensibles, et 2 000 sont liées par contrat avec la défense. Ce secteur met en jeu la souveraineté nationale et la compétitivité de l’économie nationale, dont dépend l’emploi. La DPSD intervient aussi en amont auprès des industriels, en matière de conseil et d’audit ainsi qu’en cas de crise. En effet, lors des attaques informatiques, les services aident les entreprises à réagir le plus rapidement possible, à prendre des mesures correctrices et à dresser un bilan des données attaquées ou pillées.
Le général Hogard espère également que le projet de loi sur le renseignement va provoquer un débat de fond, qui a déjà commencé dans la sphère publique et médiatique, sur le rôle des services, afin de démystifier leur rôle dans la démocratie, en définissant clairement leurs missions, leurs finalités et les modalités du contrôle de leur action.
2) Techniques de renseignement
Les techniques dites classiques – les interceptions de sécurité ou les factures détaillées, les « fadettes » sont pour certaines devenues inopérantes face au développement des technologies. Il existe également des dispositifs dits de type « R. 226 », en référence à l’article du code pénal fixant les règles de leur utilisation par dérogation, dans un cadre général de prohibition. Il s’agit notamment des IMSI-catcher qui permettent d’identifier, de localiser, voire d’écouter, pour les modèles les plus perfectionnés, un téléphone portable. Il existe également d’autres équipements adaptés aux fonctions prévues par la loi : capacités en géolocalisation, capacités en sonorisation et capacités de suivre les communications électroniques.
2) Réponse de la DPSD aux attentats de janvier
Les attentats ont souligné l’existence de limites structurelles aux dispositifs de renseignement. La difficulté qu’il a fallu dépasser est celle d’une situation de crise, dans le cadre d’un fonctionnement devenu contraint par une logique de temps de paix. Ces limites avaient déjà été identifiées et exprimées dans les études et réflexions stratégiques précédentes.
L’analyse de la situation s’est traduite par des ordres donnés à l’ensemble des entités du service pour accompagner la montée en puissance du plan Vigipirate puis le déploiement des forces armées sur le territoire national, par des opérations au profit direct de la sécurité de nos forces, de nos concitoyens et de nos entreprises de défense, par des bascules d’effort sur l’activité antiterroriste du service, par l’appel aux réservistes et, parallèlement, par une analyse des besoins humains et en équipements, transmise à l’autorité politique, qui a attribué soixante-cinq postes supplémentaires dans le cadre du plan antiterroriste, en 2015 et 2016.
Rédaction : Guillaume MURE, étudiant à Sciences-Po, stagiaire auprès de Guy Chambefort à l'Assemblée nationale.